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C’était un beau navire, long, effilé et ras sur l’eau ; sa haute mâture était rejetée en arrière ; son gréement, bien goudronné, était bien tendu et tenu avec un soin remarquable.

Sa coque, entièrement noire, était traversée par une mince bande d’un rouge de sang. On ne voyait pas de sabord et par conséquent pas de canons.

Personne ne paraissait à bord.

Le comte fit deux observations importantes : la première, que les filets d’abordage étaient tendus, de crainte de surprise, sans doute ; la seconde que les voiles étaient sur les fils de caret, et que le brick avait ses ancres aux bossoirs et était simplement amarré sur un corps mort.

— Voilà un navire bien espalmé, dit-il au moment où l’embarcation passait à le ranger par la hanche de tribord.

— Oui, répondit le marin avec complaisance, et un fin voilier, je vous en réponds.

— Vous le connaissez donc ?

— Pardieu ! j’ai navigué deux ans dessus sous les ordres de Montbars.

Quelques minutes plus tard, l’avant du canot grinçait sur le sable d’une petite crique, et les deux hommes prenaient terre sur l’île Sacrificios.

À peine avaient-ils fait quelques pas sur la plage qu’ils aperçurent un homme qui venait doucement au-devant d’eux.

— Voici le capitaine du Caïman, dit le marin, vous voyez qu’il est exact au rendez-vous.

— Ah ! fit le jeune homme, et, tout en s’approchant, il l’examina curieusement.

Comme ce personnage est appelé à jouer un rôle important dans ce récit, nous ferons en quelques mots son portrait.

Cet individu était, dans toute l’extension du terme, un véritable loup de mer ; en effet, il ressemblait bien plus à un phoque qu’à un homme.

Âgé de cinquante ans au moins, il en paraissait à peine quarante ; il était petit de taille, mais trapu et vigoureusement charpenté ; son teint hâlé avait presque la couleur de la brique ; ses yeux gris, enfoncés sous l’orbite, étaient vifs et expressifs ; sa physionomie intelligente, bien que rude, respirait l’audace et l’intrépidité calme de l’homme habitué depuis longues années à lutter contre le péril, sous quelque forme qu’il se présente.

Son costume, par caprice sans doute, car cet homme était Breton, était celui des Poletais, costume étrange qui s’est conservé intact jusqu’à ces dernières années.

— Il portait une casaque de gros drap bleu dont toutes les coutures étaient recouvertes d’un galon de même couleur, mais plus clair ; autour du cou, une cravate dont les pointes étaient garnies de glands d’argent ; une veste fond gris, à grandes fleurs brochées ; de larges culottes brunes passementées comme la casaque ; des bas de soie, et des souliers à boucles d’argent ; une toque de velours noir, ornée d’une vignette en verre filé représentant Notre-Dame des Grèves, couvrait sa tête. Une large ceinture en cuir de vache lui serrait la taille : dans cette ceinture étaient passés deux longs pistolets.

Voilà, au physique, quel était l’homme qui, ayant aperçu, les arrivants,