— Eh bien ! oui, c’est vrai, lui dit-il, après ?
— Après ? Mais voilà tout, il me semble.
— Je serais curieux de savoir qui vous a si bien instruit, monsieur le comte.
— Vous oubliez nos conventions, maître Aguirre. Je me nomme Martial, retenez-le une fois pour toutes, je vous prie ; quant à être instruit, vous comprenez, mon brave ; que l’affaire dans laquelle je m’embarque est assez sérieuse pour que je prenne mes précautions ; donc je vous ai surveillé, voilà tout ; j’avais, il me semble, un assez grand intérêt à ne pas être trahi par vous, pour agir ainsi.
— À la rigueur, vous pouvez avoir raison, répondit-il d’un air de doute.
— Revenons donc à notre affaire.
— Vous savez que je pars sur le Caïman en qualité de maître d’équipage.
— Est-ce convenu ?
— Je suis inscrit sur le rôle, et j’ai touché mes avances.
— Comment, vos avances ?
— C’est-à-dire, fit-il avec embarras, le capitaine, à ma prière, m’a prêté une certaine somme dont j’avais un pressant besoin.
— Bon ! fit-il avec un sourire railleur, et moi ? Qu’avez-vous fait ?
— Je vous ai proposé au capitaine en vous présentant à ses yeux comme étant un de mes compatriotes perdu sur cette côte et en butte à la haine des Gavachos. Sur ma recommandation, le capitaine vous accepte ; mais il veut vous voir avant que de rien déterminer.
— Ceci est fort juste ; où le trouverai-je ?
— À Sacrificios ; il nous y attendra vers quatre heures : j’ai préparé un canot.
— Très bien ! Maintenant, à mon tour, dit le jeune homme en posant une liasse de papiers sur la table.
Les yeux de maître Aguirre brillèrent de convoitise ; il rapprocha son équipal et pencha le haut corps en avant comme pour mieux voir.
Martial, nous lui conserverons ce nom, dénoua le ruban qui attachait les papiers et commença à les classer tout en parlant.
— Les bons comptes font les bons amis, mon maître, dit-il, tenez vos promesses et je tiendrai les miennes : voici l’acte de vente parfaitement en règle de la maison que vous habitez. De plus, voici cinquante mille livres en bons de caisse ; comptez.
Le matelot s’empara, avec un tremblement nerveux, des papiers que lui présentait le jeune homme et les examina avec la plus scrupuleuse attention.
— Le compte y est, dit-il.
— Maintenant, reprit le jeune homme, voici une reconnaissance de cinquante autres mille livres, mais payables seulement à votre retour en France, sur un certificat écrit et signé de ma main, constatant que je suis satisfait de vos services ; prenez. Vous voyez que je tiens mes promesses comme vous tenez les vôtres. Un dernier mot, afin qu’il n’existe pas de malentendus entre nous : s’il vous plaît de servir vos amis au préjudice des Espagnols, cela est de bonne guerre et ne me regarde pas plus que vous