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— En français ou en espagnol, à votre choix, maître Aguirre, répondit le jeune homme en refermant la porte, nous sommes bien seuls.

— Bon, puisqu’il en est ainsi, nous n’aurons pas d’indiscrétion à redouter, tant mieux, monseigneur.

— Hum ! maître Aguirre, perdez, je vous prie, l’habitude de m’appeler monseigneur, nommez-moi tout simplement Martial, c’est le nom que je compte prendre, ou, si vous le préférez, dites-moi monsieur, cela ne signifie rien et n’est point compromettant.

— J’obéirai à monsieur, répondit maître Aguirre en saluant.

— C’est cela, asseyez-vous sur cet équipal et causons.

— Je suis aux ordres de monsieur.

— Ne vous ai-je pas dit que mon nom est Martial ?

— Oui, monsieur. — Hein ? fit-il en souriant.

— Oui, Martial, oh ! soyez tranquille, je m’y habituerai.

— Maintenant, venons au fait, parlez, je vous écoute.

— D’après l’ordre que vous m’ayez donné je me suis présenté au capitaine du Caïman.

— Ah ! il se nomme Le Caïman ?

— C’est un joli nom de flibustier.

— Aussi en est-ce un.

— Pardieu ! je le sais bien ; et on ne s’en doute pas ici ?

— Pas le moins du monde, on le prend pour un négrier ; d’ailleurs le capitaine est prudent, il ne laisse descendre personne à terre, et depuis huit jours qu’il est mouillé à Sacrificios, pas un matelot de son équipage n’a mis le pied sur le port de la Vera-Cruz.

— Oui, c’est hardiment joué ; mais tout se peut découvrir à la fin.

— Aussi doit-il appareiller cette nuit avec la marée.

— Oh ! oh ! il faut nous presser alors.

— C’est ce que j’ai fait ; par un hasard singulier, je me trouvais à Sacrificios lors de l’arrivée du navire ; malgré ses peintures et son déguisement, ce n’était pas un vieux marin comme moi qu’il pouvait essayer de tromper, ses allures me parurent suspectes et…

— Voyons, ne vous embrouillez pas, maître Aguirre, interrompit le jeune homme en souriant, pourquoi ne pas me dire franchement ce qui en est.

— Comment, ce qui en est ? fit-il avec un tressaillement de surprise.

— Eh ! mon Dieu oui, ne suis-je pas des vôtres maintenant ? La chose est cependant bien simple : vous êtes Basque de Bayonne, je crois, c’est-à-dire à moitié Espagnol, vous avez profité de cette particularité pour vous hasarder en terre ferme et vous établir en ce pays. Dans quel but ? cela ne me regarde pas quant à présent, donc je ne vous en dirai rien ; seulement vous vous êtes arrangé de façon à demeurer toujours en relation avec vos amis les Frères de la Côte. Le hasard dont vous parliez tout à l’heure se résume en ceci que, depuis plusieurs jours déjà, vous guettiez ce navire que vous attendiez bel et