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— Êtes-vous fou, marquis, de dire de telles choses ? interrompit rudement le duc en lui lançant un regard sévère.

Don Sancho baissa la tête en se mordant les lèvres.

Le repas continua silencieusement.

Le duc et le comte étaient préoccupés ; seul le marquis conservait sa bonne humeur habituelle.

Lorsque les dulces et les confites eurent été placés sur la table, le duc fit un signe ; les serviteurs disparurent. Les trois convives demeurèrent seuls.

Le marquis fit le geste de se lever.

— Que faites-vous ? don Sancho, lui demanda le duc.

— Je vous laisse, mon père, répondit-il ; vous avez à causer de choses sérieuses avec mon cousin ; mieux vaut que je me retire.

— Demeurez, monsieur ; l’affaire dont il s’agit vous touche plus que vous le supposez.

— Puisque vous le désirez, je resterai donc, mon père, bien que je ne voie pas en quoi ma présence puisse être utile ici.

Le duc lui présenta un pli cacheté.

— Lisez ceci que, pour vous, j’ai reçu ce matin.

— Un ordre royal ! s’écria le marquis avec surprise.

— Oui, mon fils, S. M. le roi a daigné, à ma prière, vous nommer gouverneur de l’île de Santo-Domingo.

— Oh ! mon père, que de reconnaissance ! s’écria le marquis en baisant respectueusement la main du duc.

— J’ai voulu avoir près de moi le seul fils qui me reste.

— Comptez-vous donc quitter déjà la Nouvelle-Espagne, mon père ?

— Le même courrier a apporté votre nomination et mon ordre de départ pour Panama.

— Quel honneur pour notre famille !

— Sa Majesté nous comble.

— Permettez-moi, monseigneur, dit le comte, de joindre mes félicitations à celles de mon cousin.

— Vous êtes un peu cause de ce qui arrive, don Gusman, répondit en souriant le duc.

— Moi, monseigneur ? fit-il avec étonnement.

— Certes, mon enfant ; pour assurer le succès de l’entreprise difficile qui vous est confiée, j’ai consenti, malgré mon grand âge, à reprendre le gouvernement de la riche province de Panama, convaincu que, certain d’être secouru par moi en toutes circonstances, vous n’hésiterez pas à faire votre devoir jusqu’au bout. Votre cousin et moi nous serons rendus presque en même temps que vous, don Sancho nous servira d’intermédiaire, de cette façon nous n’aurons pas à redouter de trahison et nous ne partagerons avec personne la gloire d’avoir délivré notre patrie des ennemis acharnés qui ont depuis tant d’années osé lui jeter un insolent défi.

— Je vous remercie, monseigneur, j’essayerai, je vous le jure, de justifier la confiance que vous avez daigné mettre en moi.