Page:Aimard - Les Bohèmes de la mer, 1891.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en cuir jaune et garnies de lourds éperons en argent, montaient jusqu’au-dessus de ses genoux.

En somme, c’était un brillant cavalier, dont l’apparence don juanesque devait plaire aux voluptueuses Vera-Cruzenes et rendre jaloux bien des maris.

À quelques pas de la ville seulement il reprit son manteau, puis il passa la Guarita et bientôt il atteignit les premières maisons du faubourg de la Tejeria.

Du reste, notre voyageur ne s’engagea pas bien avant dans le faubourg ; arrivé au tiers environ, son cheval s’arrêta de lui-même devant une maison noire et lézardée, dont la porte massive et curieusement sculptée s’ouvrit aussitôt pour le recevoir.

Le jeune homme mit pied à terre et jeta la bride à un domestique d’un certain âge qui, après avoir refermé la porte, s’était approché de lui chapeau bas.

— M. le duc m’a-t-il demandé, Estevan ? dit le jeune homme en espagnol au domestique.

— Deux fois, monsieur le comte, répondit respectueusement Estevan.

— Il n’a pas paru inquiet ou contrarié de mon absence ?

— Contrarié, non, monsieur le comte ; mais inquiet, oui.

— Il n’y a rien de nouveau ici ?

— Non, monsieur le comte ; pendant les deux jours que votre absence a duré, monseigneur est constamment demeuré enfermé dans ses appartements. Une fois seulement il est sorti pour prendre, je crois, congé de M. le gouverneur de la ville.

— Ainsi, M. le duc part ?

— Les ordres sont donnés pour ce soir, monsieur le comte ; rien n’est changé à ce que monseigneur avait arrêté.

— C’est bien. N’a-t-on rien apporté pour moi ?

— Pardonnez-moi, monsieur le comte, un homme est venu ce matin, il y a une heure environ, accompagné de deux commissionnaires chargés de coffres.

— Bien ; je vais remettre un peu d’ordre dans ma toilette, puis je me rendrai auprès de monseigneur. Veuillez le prévenir de mon retour, Estevan.

Le domestique s’inclina, remit le cheval à un garçon d’écurie et entra dans la maison par une porte de dégagement, tandis que le jeune homme y pénétrait, lui, par l’entrée principale.

L’inconnu monta un étage, tourna la clef d’une porte et se trouva dans une antichambre, où plusieurs coffres étaient rangés près du mur ; c’étaient ceux dont lui avait parlé Estevan. Le jeune homme traversa cette pièce sans s’y arrêter et entra dans une chambre à coucher, la sienne probablement, car il se mit aussitôt en devoir de procéder aux soins que réclamait sa toilette froissée et défraîchie par les accidents de la route.

Il avait complètement changé de costume et jetait un dernier coup d’œil à son miroir lorsque Estevan parut.

— Que désirez-vous ? lui demanda-t-il.