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— Oui, vive Dieu ! c’est convenu, Philippe, tu es un vrai gars ! Je suis fâché à présent de m’être emporté contre toi.

— Bah ! Oubliez cela, mon oncle, je ne m’en souviens plus moi-même.

— Voilà qui est dit : à après-demain.

— Entendu.

— Surtout ne te fais pas tuer.

— Pas si bête ! les Gavachos ne me verront pas.

— Maintenant, que faisons-nous ?

— Nous allons rentrer : il commence à être tard, et vous devez avoir besoin de repos,

— Ainsi tu m’offres l’hospitalité, Pierre ?

— Pardieu ! il ferait beau voir qu’il en fut autrement !

Pierre appela l’hôte, paya la dépense, et les trois hommes se levèrent pour se retirer.

Au moment où ils atteignaient la porte, un éclair sillonna l’obscurité et un épouvantable coup de tonnerre fit vibrer les vitres.

— Eh ! eh !… Qu’est cela ? dit M. d’Ogeron.

— L’ouragan qui commence, répondit Pierre. Voilà deux jours qu’il menace. Je plains les navires qui essayent d’atterrir par une semblable bourrasque.

— Chut ! s’écria tout à coup Philippe en leur posant la main sur le bras, et, penchant vivement la tête en avant : Avez-vous entendu ?

— Quoi donc ? firent-ils.

— Le canon !

— Comment, le canon ?… s’écrièrent-ils avec anxiété.

— Écoutez ! écoutez !…

Ils prêtèrent l’oreille : quelques secondes s’écoulèrent.

Puis un bruit faible, mais auquel un marin expérimenté ne pouvait se méprendre, se fit entendre à deux reprises différentes.

— C’est le canon ! s’écrièrent-ils.

— Un navire en perdition.

— Oui, oui, dit M. d’Ogeron en hochant tristement la tête ; il tire le canon de détresse, car la brise le drosse rondement à la côte et il se sent perdu ; mais qui peut tenter de lui venir en aide par une tourmente comme celle-ci ?

— Pardieu ! ce sera moi, à défaut d’autre ! s’écria noblement Philippe.

— Ce sera nous ! répéta Pierre en ôtant tranquillement son bel habit brodé et le pliant avec soin de crainte de le gâter.

— Mais vous êtes fous ! mes maîtres, dit M. d’Ogeron, vous serez noyés vingt fois avant seulement d’apercevoir ce navire. D’ailleurs, qui vous dit que ce soit un des nôtres ? C’est probablement un croiseur espagnol qui s’est laissé affaler.

— Tant mieux ! alors, mon oncle, dit gaiement Philippe.

— Comment, tant mieux ! Pourquoi cela ?

— Parce que nous le prendrons ! fit-il en riant.

M. d’Ogeron, confondu par cette réponse, baissa la tête en joignant les