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se remettre en route. Il était environ cinq heures du soir, lorsque enfin ils songèrent au départ.

Pitrians tordit sa tente de fine toile qu’il s’attacha en bandoulière, harnacha le cheval, et Philippe allait se mettre en selle, lorsque les venteurs dressèrent subitement les oreilles, sentirent le vent et commencèrent à pousser de petits cris plaintifs et étouffés.

— Hein ? fit Pitrians, qu’est-ce que c’est que cela ? Est-ce qu’il y a des Gavachos aux environs, mes bons chiens ?

Les venteurs fixèrent des yeux flamboyants sur l’engagé et remuèrent la queue en se flâtrant, la tête tournée vers la sente qui conduisait à la ville.

— Voyons donc un peu cela, hein, mes beaux ! fit-il ; et il s’élança vers un arbre dont il embrassa le tronc et sur lequel il monta avec l’adresse et la rapidité d’un singe.

Au bout de quelques instants il redescendit.

— Il nous arrive une visite, dit-il.

— Bon ! soyons polis alors et préparons-nous à la bien recevoir, répondit Philippe en riant. Sont-ils beaucoup ?

— Une vingtaine tout au plus, à ce que j’ai pu distinguer.

— Peuh ! ce n’est guère.

— C’est mon avis. Ils me paraissent d’ailleurs assez pacifiques, ce sont des lanceros qui escortent une litière portée par des mules.

— Bah ! laissons-les venir.

Au bout de quelques instants les grelots des mules et le claquement du fouet du mayoral s’entendirent distinctement à une courte distance.

Les deux aventuriers s’élancèrent résolument, le fusil à la main, et se placèrent au milieu du sentier.

— Halte ! cria Philippe d’une voix tonnante.

Mais cette injonction était inutile ; à l’apparition imprévue des aventuriers, mules et soldats s’étaient arrêtés nets comme d’un commun accord, tant la folle audace de ces deux hommes les avait épouvantés.

Les aventuriers échangèrent entre eux un sourire railleur et jetant nonchalamment leur fusil sous le bras ils s’avancèrent vers la litière.

— Où allez-vous ainsi, Gavachos maudits ? demanda rudement Philippe, à un homme long et jaune, tremblant de tous ses membres, qui semblait le chef de la caravane.

— Nous voyageons, noble caballero, répondit le quidam d’une voix inarticulée en saluant humblement.

— Voyez-vous cela, dit en riant l’engagé, et vous voyagez ainsi sans autorisation ?

L’autre ne répondit pas et regarda autour de lui avec terreur. On voyait les lances des soldats osciller dans leurs mains tant leur épouvante était grande.

— Allons, reprit railleusement l’engagé, faites-nous voir un peu la personne si bien calfeutrée dans cette litière, afin que nous jugions du degré de considération qui lui est dû.