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éblouis par le résultat magnifique et inattendu qu’il avait obtenu, avaient cru devoir prendre leurs précautions pour s’assurer la propriété et la possession des terres dont venait de les doter un aventurier de génie, presque malgré eux, et de celles que dans l’avenir il pourrait découvrir encore.

Suivant en cela l’exemple des Portugais qui, en 1438, s’étaient fait octroyer par le pape Eugène IV toutes les contrées qu’ils reconnaîtraient depuis le cap Non jusqu’au continent indien, le roi et la reine s’adressèrent au pape Alexandre VI pour obtenir de lui, non seulement la concession des pays qu’ils voulaient occuper, mais encore celle de ceux que plus tard ils découvriraient.

Alexandre VI, né sujet de Ferdinand, désirant être agréable à ce prince, ne fit aucune difficulté de lui accorder ses demandes. Par un acte de libéralité qui ne lui coûtait rien, mais qui augmentait l’autorité et les prétentions des papes à la souveraineté universelle, il donna, par une bulle, à la couronne d’Espagne tous les pays que Ferdinand et Isabelle avaient découverts ou pourraient découvrir par la suite ; cependant, afin de ne pas contrarier la concession faite précédemment au Portugal, Alexandre VI établit pour limite entre ces deux puissances une ligne imaginaire qui fut supposée tirée d’un pôle à l’autre, et passant à cent lieues à l’ouest des Açores ; donnant par la plénitude de son pouvoir tout ce qui était à l’est de cette ligne au Portugal, et tous les pays situés à l’ouest à l’Espagne.

Ce fut à la faveur de cette bulle, en date de l’année 1493, octroyée par un pape qui, de son autorité privée, concédait de vastes régions qui, non seulement ne lui appartenaient pas, mais encore dont il ignorait la situation, et jusqu’à l’existence, que les Espagnols, se prétendant légitimes propriétaires de l’Amérique, la confisquèrent, pour ainsi dire, à leur profit, défendant aux autres nations, non pas de s’y fixer, mais même d’y débarquer dans le but de trafiquer avec les habitants.

Ces prétentions, si monstrueuses qu’elles nous paraissent avec justice aujourd’hui, ne soulevèrent alors aucune protestation en Europe. À cette époque, le vieux monde, sortant à peine de ses ruines, et tout occupé à se reconstruire des nationalités afin de remplacer celles englouties sous le flot dévastateur des invasions successives des barbares, avait de trop sérieuses préoccupations pour songer à tenter des expéditions lointaines et à coloniser des contrées inconnues.

Pendant plus d’un siècle, les choses demeurèrent en cet état. L’Espagne, maîtresse de la mer sur laquelle elle exerçait une surveillance active, faisait en toute sécurité affluer dans ses ports l’or du nouveau monde.

Mais, si sévère que fût la police créée par le gouvernement espagnol, quelques étrangers étaient parvenus à tromper sa vigilance. De retour en Europe, ils montrèrent l’or qu’ils avaient recueilli et firent de fabuleux récits sur les régions ignorées qu’ils avaient parcourues. Ces récits, en passant de bouche en bouche, prirent bientôt des proportions fantastiques, l’avarice s’éveilla, et de tous les ports de France, d’Angleterre et même des contrées maritimes de l’Allemagne, partirent des expéditions destinées à explorer le nouvel Eldorado.

Les Espagnols, qui se croyaient de bonne foi propriétaires du nouveau