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mieux vaudrait-il en sortir et retourner à la casa : ne faut-il pas tout préparer pour votre départ ?

— C’est vrai ; mais puisque je ne dois plus revenir ici jamais peut-être, répondit-elle avec un doux soupir, soyez bonne, ña Cigala, laissez-moi prier encore la Vierge pour celui que j’aime, cinq minutes seulement.

La dueña hocha la tête en femme prudente ; mais elle attendit.

Quelques minutes plus tard les deux dames, bien emmitouflées dans leurs coiffes, quittèrent enfin l’église.

Sous le porche elles se croisèrent avec un homme soigneusement embossê dans son manteau et qui les salua en s’inclinant respectueusement devant elles.

La jeune fille ne put réprimer un tressaillement nerveux à la vue de cet homme et, se penchant à l’oreille de la dueña tout en doublant le pas :

— Croyez-vous qu’il nous ait reconnues ? murmura-t-elle d’une voix basse et tremblante.

— Qui sait ! répondit la dueña sur le même ton.

Cependant l’inconnu s’était arrêté sous le porche de l’église et les suivait d’un regard railleur.

— C’est à recommencer, dit-il entre ses dents, je suis arrivé un quart d’heure trop tard ; patience !


III

L’ENGAGÉ

Avant de continuer notre récit, et pour ne plus y revenir, ouvrons une parenthèse et disons en deux mots ce que c’était que cette redoutable association des flibustiers ou Frères de la Côte dont nous avons parlé plus haut ; comment elle avait pris naissance, et de quelle façon elle était parvenue à se constituer sur de si formidables bases.

Flavio Gioïa, bourgeois d’Amalfi, dans le royaume de Naples, en perfectionnant en 1303 la calamite qui, jusque-là, avait seule été en usage à bord des navires, et en faisant la boussole, rendit un service immense à la marine moderne. Ce perfectionnement, en permettant aux navigateurs de ne plus côtoyer le rivage et de se lancer en pleine mer, bien loin hors de la vue des terres, donna peu à peu naissance à cet esprit des découvertes qui devait plus tard doter l’homme de l’empire de la mer et lui assurer la possession du globe dont il pouvait désormais parcourir toutes les parties.

La navigation commença vers 1322 à prendre un essor plus hardi par les voyages des Espagnols aux îles Canaries, situées à environ cinq cents milles de la côte d’Espagne, où ils allaient faire des débarquements pour réduire les naturels en esclavage.

Le premier plan régulier de découvertes fut conçu par les Portugais, à la suite de l’expulsion des Maures de leur pays. Ces découvertes devaient natu-