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— C’est, en effet, ce qui est arrivé, répondit Philippe.

Si l’obscurité n’avait pas été aussi épaisse, la rougeur qui couvrit subitement le visage de Martial aux paroles de M. d’Ogeron, aurait révélé aussitôt au gouverneur quel était le traître qui avait vendu son secret aux Espagnols.

— Que faisons-nous ? demanda Montbars.

— Nous marchons en avant, reprit M. d’Ogeron ; mais d’abord écoutons le plan de Philippe.

— C’est un grand honneur que vous me faites, mon oncle, répondit le jeune homme, ce plan est simple ; le voici : cent hommes, les plus alertes de nous tous, commandés par Grammont et Pitrians, s’introduiront par escalade sur la plate-forme du fort de la Roche ; les trois cents autres, guidés par moi, prendront les Espagnols à revers, de façon à les mettre entre deux feux. Seulement Grammont hissera avec lui deux pièces de canon, afin de dominer l’artillerie du fort de la Roche.

— Bon, mais il est fort difficile de franchir les Côtes-de-Fer avec du canon.

— J’ai trouvé un chemin. Ce plan vous convient-il ?

— Il nous convient si bien que, sans y rien changer, nous allons le mettre à exécution.

Grammont s’approcha de Philippe, et lui, serrant amicalement la main :

— Merci, frère, lui dit-il, de m’avoir cédé la plus belle part dans l’entreprise ; c’est une obligation que je contracte envers toi, je ne l’oublierai pas.

— Je compte sur cette promesse, répondit Philippe avec une ironie qui échappa au capitaine.

— Sois tranquille, reprit celui-ci.

— Avant de nous mettre en marche, n’oubliez pas, enfants, que j’ai fait serment de demeurer ici mort ou vainqueur, dit M. d’Ogeron.

— Nous vaincrons, répondirent d’une seule voix les quatre cents aventuriers.

— Les deux attaques seront simultanées ; elles commenceront au point du jour. Maintenant, silence, et en avant !

On partit.

Nous l’avons dit, la nuit était obscure et sans lune, pas une étoile ne brillait au ciel ; le vent avait tourné, ainsi que cela arrive souvent ; vers minuit, la brise soufflait en foudre du large, de sorte que la mer était fort dure et brisait avec fracas contre les Côtes-de-Fer.

Ce temps favorisait singulièrement les aventuriers, en confondant avec les bruits de la mer celui que, malgré toutes leurs précautions, ils étaient forcés de faire et empêchant ainsi que leur présence fût révélée soit aux habitants, soit à la garnison.

Le premier soin de M. d’Ogeron fut de diviser les aventuriers en deux troupes ; puis, sous la conduite de Philippe et de Pitrians qui leur servaient naturellement de guides, les Frères de la Côte, silencieux et résolus comme des hommes qui sont résolus à vaincre ou à mourir et qui par conséquent ont fait le sacrifice de leur vie, se dirigèrent à pas pressés vers la caverne, qui