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— D’accord, mais nous serions, je le crois, bien mieux encore si, comme des étourneaux que nous sommes, nous n’avions pas oublié le principal.

— Que veux-tu dire ?

— Est-ce que vous ne vous sentez pas en appétit ce matin ? fit Pitrians en répondant à une question par une autre.

— Eh mais ! tu m’y fais songer en effet, j’ai une faim de loup, garçon.

— Bon, et les vivres, où sont-ils ?

— Ah ! diable ! tu dois le savoir mieux que moi, Pitrians, puisque tu t’en étais chargé.

— Ils sont dans la pirogue, et la pirogue est partie avec le chevalier.

— Hum ! Voilà certes qui n’est pas gai. Comment allons-nous faire ?

— Je ne sais pas, et vous ?

— Ni moi non plus, animal, puisque je te le demande ; c’est que cette situation n’a rien d’agréable, et la perspective de rester deux jours sans manger ne me sourit que très médiocrement.

— Dame ! je ne vois guère le moyen de faire autrement, à moins de nous manger l’un l’autre.

— Bah ! tu mets tout de suite les choses au pire, toi ; nous n’avons pas de vivres, eh bien, nous en chercherons.

— Cherchons-en, je ne demande pas mieux, moi, pour ma part, seulement prenons garde de nous faire prendre.

— Comment n’as-tu pas pensé aux vivres aussi, toi, c’était surtout ton affaire.

— M’est avis que nous n’aboutirons à rien en récriminant ; mieux vaut tâcher de trouver un moyen de sortir d’embarras.

— Cela ne me semble pas facile.

— Qui sait ? essayons toujours.

— Essayons, je ne demande pas mieux, mais je doute du succès de nos recherches.

Tout en causant ainsi à bâtons rompus, les deux hommes s’étaient levés et étaient sortis de la grotte.

La plage était toujours déserte ; ils commencèrent à côtoyer les rochers pour revenir à l’endroit qui leur avait livré passage, afin d’y repasser pour entrer dans l’île. Ils marchèrent ainsi pendant près de dix minutes, examinant avec soin la muraille de rocher qui se dressait devant eux, afin de retrouver la fissure par laquelle ils s’étaient glissés le jour précédent.

Tout à coup Pitrians s’arrêta en poussant une exclamation de surprise.

— Hein ? lui demanda Philippe en hâtant le pas afin de le rejoindre plus vite, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ?

— Venez donc voir, reprit Pitrians ; sur mon âme, voici une chose bizarre.

Philippe s’approcha ; en cet endroit, les rochers, bouleversés sans doute par quelque commotion volcanique, formaient par leur amoncellement un inextricable chaos ; une roche, un peu plus rapprochée de la rive que les autres, faisait saillie au dehors. Pitrians, sans y attacher d’importance, au lieu de suivre la ligne droite, était passé derrière cette roche, et alors, à sa grande surprise, il avait vu s’ouvrir devant lui l’entrée d’une caverne assez