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recueillir et de calculer seule avec son cœur toutes les chances de réussite qu’elle pouvait avoir.

Birbomono, rendu joyeux par les dernières paroles de sa maîtresse, se mit en mesure de tout préparer pour le départ.

Un peu avant le coucher du soleil, la maîtresse et le serviteur quittèrent le rancho laissé aux soins d’Aristide, tout fier d’une telle confiance, et se dirigèrent vers le Port-de-Paix, en ayant soin de maintenir leurs chevaux à une allure assez lente pour n’arriver qu’à la nuit close, afin de moins attirer l’attention sur eux.


XIX

LA PRISE DE L’ÎLE DE LA TORTUE

Nous retournerons maintenant auprès de deux de nos personnages que les exigences de notre narration nous ont contraint d’abandonner dans une situation passablement critique ; nous voulons parler de Philippe et de son ex-engagé Pitrians, cachés ou plutôt blottis dans un trou des formidables rochers nommés Côtes-de-Fer qui forment à l’île de la Tortue une fortification naturelle.

Les deux aventuriers dormirent à poings fermés pendant toute la nuit sans que rien ne vînt troubler leur paisible sommeil. Ce ne fut qu’au lever du soleil, lorsque les premiers rayons de l’astre du jour les frappèrent au visage, qu’ils ouvrirent les yeux.

Tout était calme et solitaire autour d’eux ; la mer, à peine ridée par la brise matinale, venait doucement mourir au pied des rochers avec un faible et harmonieux murmure. Les sataniques, les damiers et les alcyons rasaient de leurs ailes rapides le sommet des vagues en poussant des cris de plaisir ; pas une voile n’apparaissait au large.

En un instant les aventuriers furent debout, ils s’affalèrent le long des rochers et descendirent sur la plage ; là ils se trouvaient comparativement en sûreté, car il était impossible de les apercevoir de l’intérieur de l’île.

Le bonheur voulut qu’en furetant à droite et à gauche sur le rivage ils découvrissent une espèce de grotte naturelle, formée sans doute par les efforts continus de la mer et qui leur offrit un refuge assuré non seulement contre les regards indiscrets, mais encore contre les rayons du soleil qui à l’heure de midi projetaient une intolérable chaleur.

— Eh ! eh ! dit Philippe en s’accommodant le plus confortablement possible, le dos appuyé à la paroi du rocher et bourrant sa pipe, notre position me semble assez tolérable, qu’en penses-tu, Pitrians ?

— Pardieu ! je pense qu’elle pourrait être pire, mais aussi qu’elle pourrait facilement être meilleure.

— Diable ! tu es difficile, mon gars ; quant à moi, je ne suis pas de ton avis, et je constate que je me trouve fort bien.