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vous accusez sa bonté et sa justice, vous prépare-t-il une éclatante justification et une vengeance terrible.

Doña Clara courba son front pâle, tandis qu’un sombre sourire crispait ses lèvres.

— Non, reprit-elle, je ne puis plus longtemps attendre ! l’heure est venue ; je vous le répète, dussé-je succomber dans la lutte, j’agirai.

— Que prétendez-vous faire ?

— Déchirer, une fois pour toutes, le voile étendu sur mes yeux.

— Vous ne réussirez pas.

— Il en sera ce qu’il plaira à Dieu, mon frère, j’y suis résolue ; j’ai d’ailleurs votre promesse formelle de me venir en aide.

— En tout ce qui dépendra de moi, ma sœur, vous pouvez y compter.

— Merci, don Sancho ; mais don Gusman, pour se mêler parmi les Frères de la Côte, n’a pas conservé son nom sans doute.

— En effet, sa qualité d’Espagnol l’eût perdu en le faisant considérer comme espion.

— Connaissez-vous le nom qu’il a adopté ?

— Je le connais, oui, ma sœur.

— Et quel est ce nom ?

— Martial.

— Bien, cela me suffit ; soyez tranquille, don Sancho, avant peu je saurai si ce jeune homme est mon fils.

— Mais, pardon si je vous interroge, ma sœur, quels moyens emploierez-vous pour obtenir cette certitude ?

Doña Clara sourit avec dédain.

— Mon cœur me le révélera ; une mère ne se trompe jamais lorsqu’il s’agit de reconnaître son fils.

— Mais pour cela il faut que vous le voyiez ?

— Aussi le verrai-je, et cela bientôt.

— Je n’ose vous comprendre, ma sœur ; ainsi vous voulez…

— Oui, interrompit-elle avec violence, je veux, moi aussi, me mêler avec les Frères de la Côte, vivre de leur vie, surveiller leurs actions, et, sans qu’il sache qui je suis, voir ce jeune homme, ce Martial, et me faire aimer de lui ; si, comme j’en ai la conviction secrète, il est mon fils, il se sentira malgré lui attiré vers moi et alors…

— Mais c’est de la folie, cela, ma sœur ! s’écria le marquis avec violence ; vous ne parlez pas sérieusement.

— Et pourquoi donc, s’il vous plaît, mon frère ?

— Vous, au milieu de ces bandits sans foi ni loi !

— Ces bandits sans foi ni loi, mon frère, ont plus d’honneur que la plupart de ceux qui les méprisent et les traquent partout comme des bêtes féroces ; mieux que personne vous devriez le savoir, il me semble.

— Il est vrai, ma sœur, que personnellement je n’ai jamais eu à me plaindre d’eux ; au contraire, ils se sont conduits à mon égard en hommes de cœur, et croyez-le bien, je leur en conserve une profonde reconnaissance.