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— Oh ! non, mon frère, plus un mot, par grâce ! s’écria-t-elle avec épouvante.

— Heureusement, reprit-il plus doucement, que j’ai pu échanger quelques mots avec Gusman. Je dois le voir ; peut-être réussirai-je, surtout si vous consentez à m’y aider, à le détourner du précipice dans lequel il est sur le point de tomber.

— En doutez-vous, mon frère ? Oh ! mon Dieu, que faire ?

— Je ne sais encore ; il me faut le voir avant tout.

— C’est vrai, quel nom a-t-il pris parmi les aventuriers ?

— Je l’ignore.

Elle baissa la tête avec accablement et pendant quelques minutes elle demeura silencieuse.

Son frère la regardait tristement sans oser troubler ses pensées et renouer l’entretien.

— Écoutez, mon frère, dit-elle au bout d’un instant en redressant la tête d’un mouvement brusque, l’œil étincelant et les sourcils froncés à se joindre, je suis demeurée trop longtemps lâchement cachée dans ce vallon, l’heure d’agir a enfin sonné ; la lutte implacable que je croyais finie entre notre père et moi recommence, soit, je l’accepte, Dieu m’aidera, car Dieu protège les mères qui combattent pour sauver leurs enfants.

— Que voulez-vous faire, Clara ?

— Quitter ce rancho et me rendre au Port-Margot ou au Port-de-Paix, au milieu des aventuriers, enfin ; ils seront pour moi moins cruels que mes compatriotes.

— Prenez garde, ma sœur.

— Qu’ai-je à risquer ? la mort ! elle sera la bienvenue, mon frère, si je parviens à retrouver mon fils et à sauver son honneur.

— Mais quel moyen emploierez-vous, ma pauvre Clara ?

— Je ne sais, Sancho, mais Dieu m’inspirera, je réussirai, j’en ai la conviction.

— Faites donc ce qu’il vous plaira, ma sœur, je n’ai ni le droit ni la volonté de vous retenir ; mais si Gusman n’était pas votre fils ?

— Ah ! fit-elle avec doute.

— Si au lieu d’un fils vous aviez une fille, et si c’était Juana qui fût cette fille ? car, ma pauvre sœur, voilà surtout où cette histoire est effroyable, c’est que vous êtes mère sans savoir à quel enfant vous avez donné le jour, sans savoir même si cet enfant, quel qu’il soit, n’est pas mort en naissant.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura-t-elle en se tordant les mains avec désespoir.

— Malheureusement, notre père, éclairé par sa haine, n’a pas commis une faute, il a tout calculé, tout prévu. Souvenez-vous que lorsque les premières douleurs de l’enfantement vous saisirent, on vous donna un puissant narcotique, que pendant votre sommeil la nature accomplit son mystérieux travail, et que lorsque vos yeux se rouvrirent vous étiez délivrée et votre enfant avait disparu.

— C’est vrai, Sancho, c’est vrai ! s’écria-t-elle en éclatant en sanglots et