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II

LA CHAPELLE DE LA VIERGE

À quinze ou seize lieues environ de Port-de-Paix, au milieu d’une savane magnifique, traversée par un large cours d’eau et abritée du vent de mer par de hautes montagnes boisées, s’élève une charmante petite ville espagnole, nommé San Juan de Goava, qui contenait alors quatre à cinq mille habitants. À cause de sa situation qui l’exposait aux attaques des aventuriers, elle était entourée de fossés et de murs en terre battue, qui lui formaient des remparts suffisants pour résister à un coup de main de ses hardis voisins.

Presque au milieu de la rue principale de cette ville se trouvait alors une maison en briques rouges, dont le portail, soutenu par deux colonnettes artistement travaillées, supportant un fronton, donnait accès dans une vaste cour, au centre de laquelle se trouvait un puits.

Un perron à double escalier conduisait dans l’intérieur du principal corps de logis, flanqué à droite et à gauche par des tourelles curieusement sculptées.

Le jour où commence notre histoire, vers huit heures du matin, la plus grande animation régnait dans cette maison qui était alors une hôtellerie ou posada, et qui, à présent, sans doute, n’existe plus.

Des valets empressés entraient et sortaient ; des voyageurs arrivaient, d’autres partaient ; des mozos de mulas réunissaient leurs recuas, tandis que des peones sellaient des chevaux ou les conduisaient à l’abreuvoir ; les appels, les cris et les jurons se croisaient dans l’air avec cette volubilité particulière aux peuples méridionaux.

Au moment le plus animé, un cavalier, soigneusement drapé dans les plis d’un large manteau, entra dans la cour.

Un peon, qui sans doute guettait son arrivée, s’approcha vivement de lui, saisit la bride de son cheval, l’aida à mettre pied à terre, et se penchant à son oreille :

— À l’église de la Merced, lui dit-il à demi-voix.

— Merci, répondit le cavalier sur le même ton, et après avoir laissé tomber une pièce d’or dans la main du peon, il tourna le dos sans autrement s’occuper de sa monture, releva les plis de son manteau sur son visage, sortit de la cour et se dirigea à grands pas vers l’église, située un peu plus haut seulement dans la même rue.

Comme tous les monuments religieux espagnols, l’église de la Merced de la ville de San Juan de Goava est un véritable joyau, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Excepté deux femmes enveloppées dans leurs coiffes, agenouillées et paraissant prier avec ferveur, l’église était déserte.

Au bruit causé par l’entrée du cavalier, dont les éperons résonnaient sur les dalles, elles se retournèrent.