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— Je vous remercie, ma sœur, de votre confiance ; à mon tour de parler maintenant, puis, lorsque vous m’aurez entendu, nous verrons ce qu’il est opportun de faire ; prêtez-moi la plus grande attention, car, vive Dios ! je vous jure que ce que vous allez entendre vous intéressera.

Doña Clara tressaillit à ces paroles, et fixant ses grands yeux pleins de larmes sur le marquis :

— Parlez, mon frère, je vous écoute, dit-elle d’une voix sourde.


XVII

CONVERSATION INTIME

Le déjeuner était terminé longtemps avant l’arrivée de don Sancho, le frère et la sœur quittèrent la salle à manger et passèrent dans une autre pièce afin de laisser au nègre la faculté d’enlever le couvert.

Cette pièce servait de chambre à coucher à doña Clara ; bien que meublée aussi simplement que le reste de la maison, elle exhalait ce parfum si doux qui révèle même aux indifférents la retraite chérie d’une femme du monde.

Doña Clara avança un siège à son frère, prit place en face de lui sur un autre et lui posant doucement la main sur le bras :

— Maintenant, parlez, mon frère, je vous écoute, dit-elle.

Le marquis fixa un long regard sur sa sœur et la voyant si triste et si pâle, il étouffa un soupir.

— Vous me trouvez bien changée, n’est-ce pas, mon frère ? dit-elle avec un mélancolique sourire ; c’est que j’ai bien souffert depuis que nous ne nous sommes vus. Mais il ne s’agit point de cela en ce moment, ajouta-t-elle, parlez, je vous en supplie.

— Dieu m’est témoin, ma sœur, dit don Sancho, que je voudrais jeter un peu de baume sur vos blessures, verser ne serait-ce qu’un fugitif espoir dans votre âme, et je crains au contraire que mes révélations, bien incomplètes et bien sombres surtout, n’ajoutent encore, s’il est possible, à votre douleur.

— La volonté de Dieu soit faite, en ceci comme en toutes choses, mon frère, répondit-elle avec résignation ; je sais combien vous m’aimez et si une douleur doit me venir de vous, elle sera la bienvenue, car votre volonté, j’en ai l’intime conviction, y sera entièrement étrangère ; maintenant parlez sans crainte, car, quoiqu’il arrive, vous êtes d’avance absous.

— Je n’attendais pas moins de vous, ma sœur, et je vous l’avoue, j’avais besoin que vous me donnassiez cette absolution pour oser tout vous dire ; écoutez-moi donc, car cette affaire est bien plus mystérieuse que vous ne le soupçonnez. Aussi bien et même mieux que moi, vous connaissez notre père, sa volonté implacable, sa cruauté froide et son orgueil immense. Je ne prétends rien vous apprendre de nouveau, en vous disant que depuis la mort de votre mari votre nom n’est pas une seule fois tombé de ses lèvres ; en