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— Voyons ces conditions, mon oncle ; je vous avertis tout d’abord que je les accepte les yeux fermés.

— Bon, voilà que tu vas trop vite en besogne, à présent.

— Pourquoi donc ? Ne dois-je pas désirer de vous voir demeurer auprès de moi ?

Tout en parlant ainsi, il avait pris un siège et s’était assis entre son oncle et son matelot.

Philippe était un beau jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, à la taille élancée et bien prise ; son corps un peu grêle, mais nerveux, semblait doué d’une vigueur peu commune et d’une rare agilité.

Son visage était merveilleusement beau ; sa physionomie douce aurait paru efféminée sans l’éclat fulgurant qui jaillissait de ses yeux noirs à la plus légère excitation et l’expression d’indomptable énergie qu’elle prenait alors.

Malgré le costume plus que simple qu’il portait, il y avait dans toute sa personne une élégance native et une distinction qui perçaient malgré lui et dénotaient la race.

Son oncle l’examinait avec complaisance et semblait ne pouvoir se rassasier de le voir.

Le jeune homme sourit, et embrassant encore le vieillard :

— Voyons, lui dit-il, pourquoi ne m’avez-vous pas averti de votre venue, mon oncle ? j’aurais été si heureux de connaître l’époque de votre arrivée. C’est mal de me surprendre ainsi.

— Le regrettes-tu, mon neveu ?

— Loin de là ; seulement j’aurais préféré qu’il en eût été autrement.

— C’était impossible, Philippe ; ma présence ici doit, jusqu’à nouvel ordre, être ignorée de tous ; je suis venu incognito.

— Ah ! fit-il, ceci change complètement l’affaire ; vous avez quelque projet, sans doute ?

— Oui, interrompit Pierre, et un grand projet, même.

— Tiens, tu es au courant, toi, à ce qu’il paraît, matelot ?

— Pardieu ! si je suis au courant.

— Bien, mon oncle me le dira, alors.

— Je ne demande pas mieux, d’autant plus que je désire avoir ton avis.

— Quoi que ce soit, vous avez raison, mon oncle.

— Tu ne sais pas encore de quoi il s’agit, fou que tu es ! répondit en riant le vieillard.

— Cela ne fait rien, mon oncle ; il est évident pour moi que vous ne pouvez avoir tort. Maintenant, parlez ; je vous écoute.

— En deux mots, le motif de mon voyage, le voici : je veux, avec l’aide de mes anciens compagnons, reprendre l’île de la Tortue et en chasser les Espagnols.

— Ah ! fit le jeune homme d’une voix étranglée en devenant subitement pâle comme un cadavre.