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dans la colonie, que l’incurie avait faite improductive, des fonds annuels pour solder les troupes et les employés, et jusqu’à des vêtements et des vivres.

Cette terre si fertile, cette contrée si splendidement belle n’était plus pour l’Espagne qu’une possession onéreuse qui agonisait lentement sous la pression de plus en plus forte d’une incurable misère.

Heureusement que pour l’avenir de Saint-Domingue, précisément à ce moment critique, de nouveaux colons s’établissaient par surprise dans la partie nord-ouest de l’île et par leur indomptable énergie, leur courage féroce et leur volonté de fer, allaient changer la face des choses et rendre jusqu’à un certain point ce pays abandonné même de ses habitants, à sa première splendeur.

Ces nouveaux colons étaient les flibustiers chassés de l’île Saint-Christophe par les Espagnols eux-mêmes et qui s’étaient tout à coup abattus comme une volée d’oiseaux de proie sur Saint-Domingue, que la Providence, dont les voies sont incompréhensibles pour l’esprit borné des hommes, destinait à transformer et à régénérer.

Maintenant que nous avons fait sommairement connaître cette île où vont se passer plusieurs scènes importantes de notre histoire, nous reprendrons notre récit trop longtemps interrompu.

À quelques lieues de Santo-Domingo, capitale de l’île, au fond d’une étroite vallée, presque ignorée alors, et enfoncée pour ainsi dire au milieu des hautes montagnes qui l’enveloppaient de toutes parts, s’élevait une modeste habitation, ou plutôt un rancho construit en troncs d’arbres, et recouvert en feuilles de palmier.

Ce rancho, perdu dans ce désert, était placé sur le bord d’une petite rivière nommée la Jaina, espèce de torrent presque tari à l’époque des grandes chaleurs, et qui après un cours de quelques lieues se jette dans la mer, non loin de Santo-Domingo.

La Jaina, de même que la plupart des rivières de l’île, n’est navigable que pour les embarcations des plus petites dimensions, mais ses bords tortueux, frangés de bois de haute futaie, de vertes prairies et de fourrés de lentisques, sont ravissants.

Le rancho se mirait dans ses eaux limpides ; derrière l’habitation un corral, peu étendu et fermé d’une haie touffue, servait à rentrer, le soir, deux ou trois chevaux et autant de vaches, qui paissaient en ce moment en liberté à quelques pas à peine de la maison.

On pénétrait dans le rancho par un péristyle en troncs d’arbres, qui formait une colonnade surmontée d’une véranda devant la porte, à droite et à gauche de laquelle s’ouvraient deux fenêtres, garnies d’une fine moustiquaire et d’un long store en étoffe verte, destiné à tamiser les rayons ardents du soleil.

L’intérieur de cette habitation répondait à l’extérieur, c’est-à-dire que tout y était simple, modeste, mais de bon goût et d’une exquise propreté.

Après avoir franchi le péristyle, on pénétrait dans une espèce d’antichambre qui servait à séparer en deux les appartements ; une porte à droite