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sentant, avait en Amérique un patronage illimité et disposait de tous les emplois et bénéfices. Bien plus, aucune bulle n’était reçue en Amérique, sans avoir été examinée et approuvée par le Conseil des Indes.

Les Ayuntamientos, ou municipalités, composés des regidores et des alcades, étaient librement nommés par les habitants de chaque ville, dont ils étaient chargés de défendre les intérêts.

Ces Ayuntamientos représentaient l’élément démocratique au milieu de cette organisation si éminemment despotique.

L’Ayuntamiento, ou Cabildo, n’oublia jamais les devoirs que lui imposait son origine populaire, et lors de l’éclosion de la guerre de l’indépendance, ses membres se firent bravement les organes du peuple, et soutinrent chaudement ses droits.

Voilà par quelle forme de gouvernement étaient régies non seulement la Nouvelle-Espagne ; mais le Pérou, le Chili, Buenos-Ayres et généralement toutes les possessions de la couronne de Castille en Amérique.

Une haine trop profonde, une antipathie trop prononcée, séparaient les vainqueurs des vaincus, pour que les deux races parvinssent à se confondre en une seule ; elles se mêlèrent, créant ainsi une troisième race ; mais elles demeurèrent toujours debout en face l’une de l’autre, et les métis sortis de leur mélange, devinrent par la suite les ennemis les plus acharnés des Espagnols, et les promoteurs de toutes les révoltes et de toutes les insurrections.

Au xviie siècle, l’Amérique n’était pas encore complètement pacifiée, et malgré une énergique et implacable répression, de soudaines prises d’armes dans les provinces éloignées révélaient de temps en temps au gouvernement espagnol l’ardent désir de liberté qui, malgré tout ce qu’on avait fait pour l’éteindre, couvait toujours au sein des masses.

Nous aurons terminé ce tableau, peut-être trop long, mais nous le croyons assez curieux, des possessions espagnoles, en disant un mot de l’état de l’instruction publique dans ces contrées.

Il était ordonné, par mesure politique et comme garantie d’obéissance et de sécurité pour le gouvernement, de maintenir les masses dans une ignorance profonde.

Les Américains étaient donc étrangers complètement à tout ce qui se passait hors de leur patrie ; ils croyaient de bonne foi que le sort des autres peuples valait moins que le leur. Ils étaient convaincus que leur gouvernement était le plus grand et le plus éclairé de tous ceux qui régissent le monde, et que l’Espagne, par sa politique et son organisation militaire, était la reine des nations et, par conséquent, la plus puissante.

Hablar cristiano, — parler chrétien, — signifiait parler espagnol, dans la bouche des Américains, et ils comprenaient sous le nom de gringos ou hérétiques, avec lesquels les bons catholiques ne pouvaient entretenir des rapports, et cela sans aucune exception, les Anglais, les Français, les Allemands, les juifs ou les musulmans.

Il est inutile de dire que l’Inquisition, fidèle gardienne de l’ignorance, ne laissait pénétrer aucuns livres autres que ceux autorisés par elle, et poursui-