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— Bon, ce sera toujours cela de gagné, dit insoucieusement Pitrians en se couchant auprès de lui.

Cinq minutes plus tard, tous deux étaient plongés dans un profond sommeil.


XIV

SANTO-DOMINGO

Il nous faut maintenant, avant que d’aller plus loin, expliquer au lecteur quel était le mode de gouvernement adopté par les Espagnols en Amérique ; et le système suivi par eux dans leurs colonies depuis la conquête.

En vertu de la donation du pape, les possessions américaines étaient propriétés de la couronne ; donc le pays appartenait au roi, et les terres occupées, soit par les Espagnols, soit par les indigènes, étaient réputées concessions royales.

Le roi ne reconnaissait aucun droit de corporation, aucun privilège ; il ne levait pas d’impôt sur le sol, mais percevait des droits, des tributs, des redevances.

Il gouvernait par un délégué ayant titre de vice-roi, de sorte que tous les fonctionnaires étaient ses gens.

Le vice-roi était à la tête de toute l’administration du pays, commandait l’armée, décidait de toutes les questions militaires en conseil de guerre, présidait le Conseil, et nommait aux emplois vacants, sous réserve de la sanction royale.

Un tribunal suprême, nommé Audiencia, servait de contrepoids à ce grand fonctionnaire. Cour d’appel de tous les tribunaux civils et ecclésiastiques, il jugeait en dernier ressort toutes les fois que l’objet en litige n’excédait pas dix mille piastres fortes, — cinquante mille francs de notre monnaie. — Cette cour avait droit de remontrance, et délibérait comme Conseil d’État.

L’Audiencia correspondait directement avec le Conseil des Indes, ce régulateur suprême de toutes les affaires des possessions espagnoles.

Les membres de l’Audiencia jouissaient de privilèges immenses, mais ils devaient être Espagnols ; et pour qu’aucune affection de famille ne pût les attacher à l’Amérique, il leur était défendu, à eux et à leurs fils, de s’y marier et d’y acquérir des propriétés. Une interdiction pareille frappait le vice-roi.

Puis venait l’intendant administrateur des finances, ayant sous ses ordres les collecteurs des droits et redevances. Le pouvoir des intendants était si étendu qu’ils étaient presque indépendants dans leurs provinces.

Bref, dans l’administration de ses possessions, l’Espagne avait balancé tous les pouvoirs, de sorte qu’aucun n’était absolu et ne pouvait échapper au contrôle.

Le pouvoir ecclésiastique même, si fort dans un pays catholique, était soumis à des règles sous lesquelles il lui fallait se courber.

Ainsi la constitution de l’Église américaine ne ressemblait nullement à