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ne voulant pas emporter tout ce qui lui appartenait, de crainte d’éveiller les soupçons, et enveloppant soigneusement dans son manteau une petite cassette de fer fort lourde qui sans doute renfermait son argent monnayé, il s’assura d’un coup d’œil circulaire que tout était en ordre, rouvrit la porte et appela.

Un soldat parut.

— Priez MM. de Castaix et de Mircey de se rendre au gouvernement, dit-il, je désire leur parler.

MM. de Castaix et de Mircey étaient les deux lieutenants demeurés au fort.

Ils arrivèrent bientôt, assez intrigués de cette audience imprévue ; habituellement le gouverneur causait peu avec ses officiers.

— Messieurs, leur dit-il, après leur avoir rendu leur salut, un ordre du roi m’a fait revenir ici en toute hâte. Je dois conduire notre prisonnier, M. de Barmont, à Antibes, où déjà m’a précédé votre capitaine avec une escorte suffisante pour paralyser toute tentative d’évasion de la part du prisonnier ; j’ai agi ainsi parce que le bon plaisir du roi est que cette translation du comte d’un lieu à un autre ait l’apparence d’une mise en liberté ; c’est même en ce sens que je parlerai au prisonnier afin de ne lui rien laisser soupçonner des nouveaux ordres que j’ai reçus. Jusqu’à mon retour, qui ne tardera pas plus de deux jours, vous, monsieur de Castaix, comme plus ancien de grade, vous prendrez le commandement de la forteresse ; je me plais à croire, messieurs, que je n’aurai qu’à me louer de l’aptitude que vous apporterez à remplir vos devoirs pendant mon absence.

Les deux officiers saluèrent ; habitués à la politique tortueuse et mystérieuse du cardinal, les paroles du major ne les étonnèrent nullement, car bien que le cardinal fût mort, il n’y avait pas encore assez longtemps de cela pour que le roi eût, à leur avis, modifié en quoi que ce fût sa façon ténébreuse de gouverner.

— Veuillez donner l’ordre que le prisonnier soit amené en ma présence ; tandis que je lui annoncerai sa mise en liberté, ajouta-t-il avec un sourire gouailleur, dont les officiers ne comprirent pas l’étrange signification, vous ferez porter tous les effets lui appartenant dans le canot du lougre contrebandier à bord duquel je suis revenu. Allez, messieurs.

Les officiers se retirèrent.

Le comte fut fort étonné lorsque la Grenade ouvrit son cachot et le pria de le suivre en lui annonçant que le gouverneur désirait lui parler.

Il croyait le major en route pour Paris, ainsi que cela avait été convenu entre eux le soir précédent, et ne comprenait rien à sa présence au fort après la promesse formelle qu’il lui avait faite la veille.

Une autre chose lui causait encore une grande surprise : depuis qu’il était prisonnier à l’île Sainte-Marguerite, jamais le gouverneur ne l’avait fait demander : c’était au contraire lui qui toujours s’était dérangé et était venu le trouver dans sa chambre.

Mais ce qui acheva de mettre le désordre dans ses idées, ce fut la recom-