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Celui-ci reprit :

— N’importe comment je l’ai appris, je sais de science certaine, et l’affaire du diamant en est pour vous une preuve irrécusable, que tandis que d’un côté vous feigniez de porter le plus grand intérêt au comte de Barmont, auquel, soit dit sans reproche, vous avez, au moyen de cette feinte pitié, enlevé des sommes considérables, d’un autre, vous le trahissiez sans pudeur au profit de certains ennemis, dont vous vous faites à l’occasion grassement payer. Ceci n’est que pour mémoire ; il est inutile de le discuter, fit Michel en arrêtant d’un geste le major prêt à parler ; or, je me suis mis en tête, moi, que contre vent et marée et quelles que fussent les intrigues de ses ennemis pour l’en empêcher, le comte serait libre, et libre par moi. Voici quel est mon projet : écoutez bien ceci, monsieur le gouverneur, car l’affaire vous touche plus que vous ne semblez le supposer. Le comte a appris la mort du cardinal de Richelieu. C’est moi qui lui en ai fait passer la nouvelle dans une lettre du duc de Bellegarde. Vous voyez que je sais tout ou à peu près. Il vous a aussitôt prié de le venir voir : vous vous êtes rendu à son désir. Que s’est-il passé dans votre entretien ? Parlez et surtout soyez franc ; à mon tour, je vous écoute.

— À quoi bon vous rapporter cet entretien ? dit ironiquement le major.

— Pour ma satisfaction personnelle, répondit Michel, et votre intérêt particulier, ne vous hâtez pas de vous réjouir, major, vous n’êtes pas sorti de mes mains ; croyez-moi, exécutez-vous de bonne grâce, votre intérêt l’exige.

— Mon intérêt ? dit-il avec étonnement.

— Allez toujours, major ; lorsqu’il en sera temps, soyez tranquille, je vous donnerai l’explication que vous désirez.

Le vieil officier réfléchit un instant. Enfin, il se décida à parler, se réservant in petto, si l’occasion s’en présentait plus tard, de faire payer cher au matelot ses angoisses et ses humiliations.

— Le comte, dit-il, m’a engagé à aller à Paris m’aboucher avec le duc de Bellegarde, afin de lui rapporter son ordre de mise en liberté, que le duc est certain d’obtenir du roi.

— Bon, ça ! Et quand comptiez-vous partir pour Paris ?

— Je suis parti.

— Ah ! ah ! fit Michel en riant. Il paraît que vous vous êtes arrêté en route ; mais cela ne fait rien à l’affaire. Est-ce tout ?

— À peu près.

— Hum ! il y a quelque chose alors.

— Moins que rien.

— C’est égal, dites toujours, je suis fort curieux. Le comte ne vous a rien promis ?

— Si.

— Combien ?

— Cinquante mille livres, dit le major avec répugnance.

— Eh ! eh ! c’est une belle somme, et que vous vous prépariez à gagner d’une étrange [façon ; mais je ne veux pas revenir là-dessus. Désirez-vous recouvrer votre diamant et toucher en même temps les cinquante mille livres promises par le comte ? Parlez, cela dépend de vous.