Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous vous gaussez de moi, sans doute, monsieur le gouverneur, dit-il.

— Nullement, reprit le major, et la preuve, c’est que les voilà, ajouta-t-il en tirant de sa poche une poignée d’or qu’il fit sauter dans sa main d’un air nonchalant ; donc j’attends votre réponse.

— Dame ! monsieur le gouverneur, vous n’êtes pas sans savoir que dix louis forment une fort belle somme pour un pauvre diable comme moi ; je ne demande pas mieux que de gagner les jaunets, que faut-il faire pour cela ?

— Oh ! mon Dieu, une chose bien simple ; me conduire à Saint-Honorat, où j’ai envie de me promener.

— À cette heure de nuit ? fit avec surprise le patron.

Le major se mordit les lèvres, en reconnaissant qu’il avait dit une sottise.

— Je suis fort ami du pittoresque, je veux jouir de l’effet des ruines du couvent au clair de lune.

— C’est une idée comme une autre, répondit le patron, et puisque vous me payez, monsieur le gouverneur, je n’ai rien à y voir.

— C’est juste. Vous me conduirez donc à Saint-Honorat, vous me débarquerez avec votre canot, et vous m’attendrez en tirant des bordées au large ; cela vous convient-il ainsi ?

— Parfaitement.

— Ah ! j’ai un goût prononcé pour la solitude, je tiens donc expressément à ce qu’aucun de vos hommes ne descende sur l’île tandis que j’y serai.

— Tout l’équipage demeurera à bord, soyez tranquille.

— C’est bien, j’y compte, voilà l’argent.

— Merci, répondit le patron en l’empochant, et, s’adressant au timonier : La barre dessous, dit-il, et il ajouta : Oh ! les gars, appuyez les écoutes à bâbord.

Le léger navire vint rapidement au vent, et s’élança en bondissant sur les vagues vers Saint-Honorat, dont les sombres contours se dessinaient en noir à l’horizon.

La traversée est courte pour passer de Sainte-Marguerite à Saint-Honorat, surtout à bord d’un fin voilier comme était le lougre contrebandier.

Bientôt le léger bâtiment se trouva en face de l’île.

Le patron mit en panne et ordonna d’affaler le canot à la mer.

— Monsieur le gouverneur, dit-il, en ôtant respectueusement son bonnet et en arrêtant le major qui se promenait de long en large sur l’arrière, nous sommes parés, le canot vous attend.

— Déjà ?… tant mieux ! répondit celui-ci.

Au moment où il allait descendre dans le canot, le patron l’arrêta.

— Avez-vous des pistolets ? lui demanda-t-il.

— Des pistolets, fit-il, en se retournant, à quoi bon ? est-ce que l’île n’est pas déserte ?

— Complètement.

— Je n’ai donc aucun danger à courir.

— Pas le moindre, aussi n’est-ce pas pour cela que je vous adressais cette question.

— Pour quelle raison alors ?