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ment ! Hélas ! vous le savez, monsieur le comte, que deviendrai-je si l’on me chasse d’ici ?

— Cela pourrait bien arriver, dit le comte. Vous avez, monsieur, toujours été grand ami du défunt cardinal et connu pour tel.

— Hélas ! malheureusement ! murmura le major tout décontenancé et comprenant la vérité de cette affirmation.

— Il y a, je crois, un moyen avantageux d’arranger les choses.

— Lequel, monsieur le comte ? Parlez, je vous en supplie !

— Ce moyen, le voici : écoutez-moi bien ; ce que je vais vous dire est fort sérieux pour vous.

— J’écoute, monsieur le comte.

— Voici une lettre toute préparée pour le duc de Bellegarde. Vous allez à l’instant partir pour Paris en passant par Toulon, où vous toucherez ce bon de deux mille livres pour vos frais de voyage. Le duc m’aime beaucoup. À ma considération, il vous recevra bien ; vous vous entendrez avec lui, vous lui obéirez en tout ce qu’il vous dira.

— Oui, oui, monsieur le comte.

— Et si d’ici un mois au plus tard…

— D’ici un mois, au plus tard !… répéta le gouverneur haletant d’impatience.

— Vous me rapportez ici ma grâce pleine et entière signée de Sa Majesté Louis XIII…

— Hein ? s’écria le gouverneur avec un geste de surprise.

— Je vous compterai immédiatement, continua froidement le comte, la somme de cinquante mille livres, pour vous indemniser des désagréments que ne manquera pas de vous occasionner ma mise en liberté.

— Cinquante mille livres ! s’écria le major les yeux brillants de convoitise.

— Cinquante mille livres, oui, monsieur, répondit le comte. Et de plus, je m’engage, si cela vous convient, à vous faire maintenir dans votre commandement. Est-ce une affaire entendue ?

— Mais, monsieur le comte, comment ferai-je à Paris ?

— Vous suivrez les indications que vous donnera le duc de Bellegarde.

— C’est fort difficile, ce que vous me demandez là.

— Pas autant que vous feignez de le croire, monsieur ; d’ailleurs, si cette mission ne vous convient pas, je…

— Je n’ai pas dit cela, monsieur.

— Bref, c’est à prendre ou à laisser.

— Je prends, monsieur le comte, je prends, vive Dieu !… cinquante mille livres !

— Et vous partez ?

— Demain.

— Non, ce soir !

— Ce soir, soit.

— C’est bien ! Voilà la lettre et voici le bon. Ah ! à propos, tâchez de vous mettre en rapport avec un pêcheur d’Antibes, nommé Michel.

— Je le connais, fit le major en souriant.