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par lesquelles il vous est possible de les adoucir. Mais d’abord, puisque je suis ici chez moi, ajouta-t-il, avec un mélancolique sourire ; faites-moi l’honneur de vous asseoir.

Le major salua, mais resta debout.

— C’est inutile, monsieur le comte, reprit-il, ce que j’ai à vous dire étant fort court ; d’abord, vous remarquerez que j’ai eu la délicatesse de vous faire remettre sans le visiter, comme j’en avais le droit, le coffre contenant les effets vous appartenant.

— Je le reconnais, monsieur, et je vous en sais gré.

Le major s’inclina :

— Vous êtes militaire, monsieur le comte, dit-il ; vous savez que Son Éminence le cardinal, bien que ce soit un grand homme, n’est pas fort libéral envers les officiers que des infirmités ou des blessures contraignent à se retirer du service.

— C’est vrai, fit le comte.

— Les gouverneurs de forteresse surtout, bien que nommés par le roi, étant obligés d’acheter à beaux deniers comptants la charge de leurs prédécesseurs, se trouvent réduits à une complète misère s’ils n’ont pas quelque argent d’avance.

— J’ignorais ce détail, monsieur, je croyais que le gouvernement d’une forteresse était une récompense.

— C’en est une aussi, monsieur le comte ; on n’achète la charge que des châteaux forts servant, comme celui-ci, de prison d’État.

— Ah ! fort bien.

— Vous comprenez, c’est à cause des bénéfices que le gouverneur est autorisé à faire sur les prisonniers confiés à sa garde.

— Parfaitement, monsieur. En ce moment beaucoup de malheureux, ayant encouru la disgrâce de Son Éminence, sont-ils détenus dans ce château ?

— Hélas ! monsieur, vous êtes le seul, voilà justement la raison qui me fait désirer de m’arranger à l’amiable avec vous.

— De mon côté, je ne demande pas mieux, monsieur, croyez-le bien.

— J’en suis convaincu, aussi vais-je aborder franchement la question.

— Abordez, monsieur, je vous écoute avec la plus sérieuse attention.

— Il m’est ordonné, monsieur, de ne vous laisser communiquer avec personne autre que votre geôlier, de ne vous donner ni livres, ni papier, ni plumes, ni encre, et de ne jamais vous autoriser à sortir de cette chambre ; il paraît qu’on redoute fort que vous vous échappiez d’ici, et que Son Éminence tient à vous conserver.

— J’en suis fort reconnaissant à Son Éminence, mais heureusement pour moi, répondit en souriant le comte, au lieu d’avoir affaire à un geôlier, je dépends d’un brave soldat qui, tout en exécutant strictement sa consigne, juge inutile de tourmenter un prisonnier déjà assez malheureux d’être tombé dans la disgrâce du roi et de Son Éminence le cardinal-ministre.

— Vous m’avez bien jugé, monsieur le comte ; si sévères que soient ces ordres, je commande seul dans ce château où je n’ai nul contrôle à redouter, j’espère donc pouvoir adoucir en votre faveur la rigueur qui m’est ordonnée.