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l’église de la Merced, par un prêtre qui consentit, moyennant une grosse somme, à prêter son ministère à cet acte tant soit peu illégal.

Michel le Basque et Vent-en-Panne servirent de témoins à leur capitaine, qui, d’après les pressantes recommandations du duc, ne voulut mettre aucun de ses officiers dans son secret ; d’ailleurs, il était sûr du silence des deux matelots.

Aussitôt après la cérémonie, la nouvelle épouse fut entraînée, d’un côté, par ses témoins, tandis que son mari se retirait fort contrarié, d’un autre, et retournait à son bord.

Lorsque le lendemain le comte se présenta à l’hôtel du duc, celui-ci lui annonça que, pour ôter tout prétexte à la malveillance, il avait jugé à propos d’éloigner sa fille pendant quelque temps, et qu’il l’avait envoyée auprès d’une de ses parentes qui habitait Grenade.

Le comte ne laissa rien paraître de son désappointement, il se retira, feignant de trouver bonnes les raisons assez spécieuses de son beau-père.

Cependant il commençait à trouver les façons d’agir du duc à son égard assez extraordinaires, et il se promit d’éclaircir les doutes qui s’élevaient dans son esprit.

Vent-en-Panne et Michel le Basque furent mis en campagne.

Le comte apprit par eux, non sans étonnement, après deux jours de recherches, que doña Clara n’était pas à Grenade, mais seulement à Puerto-Santa-Maria, charmante petite ville située en face de Cadix, sur le côté opposé de la rade.

Le capitaine, dès qu’il eut les renseignements dont il avait besoin pour réussir dans le projet qu’il méditait, fit, par l’entremise de Michel qui parlait espagnol comme un Andalou de Séville, parvenir un billet à doña Clara, et à la nuit close, suivi de ses deux fidèles matelots, il se fit mettre à terre à Santa-Maria.

La maison habitée par la jeune fille était un peu isolée ; il plaça ses deux matelots en embuscade afin de veiller à sa sûreté, et marcha droit à cette maison.

Ce fut doña Clara elle-même qui lui ouvrit. La joie des deux époux fut immense. Un peu avant le lever du soleil, le comte se retira. Vers dix heures il alla, comme il en avait l’habitude, faire visite à son beau-père, devant lequel il continua à feindre la plus complète ignorance touchant la résidence de doña Clara. Celui-ci le reçut fort bien.

Ce manège dura pendant un mois à peu près.

Un jour le comte reçut à l’improviste la nouvelle de la reprise des hostilités entre la France et l’Espagne ; il se vit contraint de quitter Cadix, mais il voulut avoir une dernière entrevue avec le duc, afin de lui demander enfin une explication franche de sa conduite ; au cas où cette explication ne le satisferait pas, il était résolu à enlever sa femme et à l’emmener avec lui.

Lorsqu’il arriva à l’hôtel du duc, un domestique de confiance lui annonça que son maître, appelé subitement par le roi, était, depuis une heure, parti pour Madrid, sans même avoir eu, à son grand regret, le temps de prendre congé de lui.