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peuple, allez, orgueilleux comme des coqs et rancuniers comme des démons. Croyez-moi, méfiez-vous toujours, cela ne peut pas nuire ; d’ailleurs, ce vieux gentilhomme a un visage sournois qui ne me revient pas du tout.

— Tout cela n’a pas le sens commun, Michel, et je suis tout aussi fou que toi de t’écouter.

— Bon, bon, fit le matelot en hochant la tête, nous verrons plus tard si je me suis trompé.

La conversation se termina là, cependant les paroles de Michel préoccupaient le capitaine plus qu’il ne voulait le laisser paraître ; ce fut d’un air soucieux qu’il retourna à son bord.

Le lendemain, vers dix heures du matin, une élégante embarcation de plaisance accosta la frégate.

Cette embarcation contenait le duc de Peñaflor et le comte de Bejar y Sousa, son silencieux cousin.

— Ma foi, mon cher comte, dit d’un ton de bonhomie le duc après les premiers compliments, vous allez me trouver bien sans façons et bien exigeant, je viens tout simplement vous enlever.

— M’enlever ! répondit en souriant le jeune homme.

— Ma foi oui, c’est ainsi. Figurez-vous, comte, que ma fille veut absolument vous voir, elle ne parle que de vous, et comme, chose qui, j’en suis sûr, vous étonnera médiocrement, elle fait à peu près ce qu’elle veut de moi, elle m’a envoyé vers vous en me signifiant qu’il fallait absolument que vous m’accompagnassiez au château.

— C’est ainsi, dit en saluant don Stenio ; la señorita doña Clara veut absolument vous voir, capitaine.

— Cependant, objecta celui-ci.

— Je n’écoute rien, reprit vivement le duc, il faut en prendre votre parti, mon cher comte, vous n’avez qu’à obéir, vous savez qu’on ne résiste pas aux dames : ainsi, venez. D’ailleurs, rassurez-vous, je ne vous conduis pas bien loin, mon château est à deux lieues d’ici à peine.

Le comte, qui éprouvait secrètement un vif désir de revoir doña Clara, ne se fit prier que tout juste ce qu’il fallait ; puis, après avoir donné les ordres nécessaires à son commandant en second, il suivit le duc de Peñaflor, accompagné de Michel, qui semblait être l’ombre de son capitaine.

Voilà de quelle façon commença cette liaison qui devait presque aussitôt se changer en amour, et avoir, plus tard, de si terribles conséquences pour le malheureux officier.

Le duc et son éternel cousin, qui ne le quittait point d’un pas, accablaient le comte de protestations d’amitié, lui laissaient la plus complète liberté dans le château, et semblaient ne s’apercevoir en aucune façon de l’intelligence qui n’avait pas tardé à s’établir entre doña Clara et le jeune homme.

Celui-ci, complètement subjugué par la passion qu’il éprouvait pour la jeune fille, se laissait aller à son amour avec cet abandon confiant et irréfléchi de tous les cœurs qui aiment pour la première fois.

Doña Clara, simple et naïve jeune fille élevée avec toute la rigide sévérité des mœurs espagnoles, mais Andalouse de pied en cap, avait reçu, avec un