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que la beauté de doña Clara, son doux parler, avaient laissé une forte impression dans son esprit, que son image y était toujours présente et que sa mémoire, d’une implacable fidélité, lui rappelait jusqu’aux détails les plus indifférents en apparence du court entretien qu’il avait eu avec elle.

— Allons ! allons ! dit-il en secouant la tête à plusieurs reprises, comme pour en chasser une pensée importune, je suis fou !

— Eh ! capitaine, fit Michel, qui profita de cette exclamation pour donner un libre cours aux réflexions qu’il brûlait d’exprimer à haute voix, c’est égal, il faut avouer que c’est bien heureux tout de même pour cette jeune dame, que nous nous soyons trouvés là si à point.

— Fort heureux en effet, Michel, répondit le comte, charmé de cette diversion ; sans nous cette infortunée jeune fille était perdue.

— Ça, c’est vrai, et sans rémission, encore, pauvre petite !

— Quel destin affreux ! si jeune et si belle !

— Le fait est qu’elle est bien espalmée, pourtant je la trouve un peu mièvre et chétive et un brin trop pâle.

Le comte sourit sans répondre à cette appréciation, tant soit peu hasardée, du matelot.

Celui-ci, se sentant encouragé, continua :

— Seulement, me permettez-vous de vous donner un conseil, capitaine ? dit-il.

— Lequel, mon gars ? parle sans crainte.

— Pour de la crainte, le diable m’emporte si j’en ai, seulement je ne voudrais pas vous faire de la peine.

— Me faire de la peine, Michel, et à propos de quoi ?

— Eh bien ! tant pis, je largue tout. Voilà la chose, capitaine : lorsque vous avez dit votre nom au vieux duc…

— Eh bien ! qu’est-il arrivé ?

— Il est arrivé qu’en l’entendant prononcer, il est subitement devenu pâle comme un cadavre : ses sourcils se sont froncés, il vous a lancé un regard si terrible que j’ai cru un instant qu’il voulait vous assassiner. Est-ce que vous ne trouvez pas ça drôle, vous, capitaine ?

— Ce que tu dis là est impossible, tu te trompes.

— Vous ne vous en êtes pas aperçu, vous, parce que vous baissiez la tête, mais moi je le regardais sans en avoir l’air, je suis bien sûr de ce que j’avance.

— Mais réfléchis donc, Michel, que je ne connais pas ce seigneur, que jamais avant aujourd’hui je ne l’avais vu ; comment pourrait-il nourrir une haine contre moi ? Tu radotes, mon ami.

— Non pas, capitaine, je suis certain de ce que j’avance ; que vous le connaissiez ou non, ce n’est pas mon affaire, mais quant à lui, je parierais qu’il vous connaît et même beaucoup ; l’impression que vous lui avez causée est trop forte pour qu’il en soit autrement.

— J’admets, si tu le veux, qu’il me connaisse, au moins il y a une chose que je puis certifier, c’est que jamais je ne l’ai offensé.

— Voilà ce dont on ne peut jamais être sûr, capitaine. Voyez-vous, je suis Basque, moi, je connais les Espagnols de longue date ; c’est un singulier