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Le recors descendit suivi par le comte, et tous deux entrèrent dans l’auberge ; une partie de l’escorte demeura en selle dans la rue, le reste mit pied à terre et s’installa dans la salle commune.

Sur un signe du recors, qu’il paraissait bien connaître, l’aubergiste le précéda, son bonnet de coton à la main, et le conduisit dans une chambre du premier étage, assez bien meublée, et dans la cheminée de laquelle brûlait un bon feu ; puis il se retira sans prononcer une parole, contre la coutume de ses confrères.

Le comte avait machinalement suivi le recors, et arrivé dans la chambre, il s’était installé sur une chaise auprès du feu, trop préoccupé de ses propres pensées pour attacher grande attention à ce qui se passait autour de lui.

Lorsque l’aubergiste les eut laissés seuls, le recors ferma la porte en dedans en poussant un verrou, et venant se placer devant son prisonnier :

— Maintenant, parlons à cœur ouvert, monsieur le comte ! dit-il.

Celui-ci, étonné de cette brusque interpellation, releva vivement la tête.

— Nous n’avons pas de temps à perdre pour nous entendre, monsieur le comte. Écoutez-moi donc sans m’interrompre, continua le recors. Je suis François Bouillot, le frère cadet de votre père nourricier, me reconnaissez-vous ?

— Non, répondit le comte après l’avoir pendant un instant examiné attentivement.

— Cela ne m’étonne pas, vous n’aviez que huit ans la dernière fois que j’eus l’honneur de vous voir au château de Barmont ; mais peu importe ! je vous suis dévoué et je veux vous sauver.

— Qui m’assure que vous êtes bien François Bouillot, le frère de mon père nourricier, et que vous n’essayez pas de me tromper ? répondit le comte d’un ton soupçonneux.

Le recors fouilla dans sa poche, en sortit plusieurs papiers qu’il déplia et présenta tout ouverts au comte.

Celui-ci y jeta machinalement les yeux : il y avait un extrait de naissance, une commission, plusieurs lettres qui établissaient péremptoirement l’identité du frère de son père nourricier. Le comte lui rendit les papiers.

— Comment se fait-il que ce soit vous qui m’ayez arrêté et que vous vous trouviez si à point pour me venir en aide ? lui demanda-t-il.

— D’une façon fort simple, monsieur le comte ; votre ordre d’arrestation a été demandé au cardinal ministre par l’ambassade de Hollande. J’étais présent lorsqu’un familier de Son Éminence, M. de Laffemas, qui me veut du bien, est sorti du Palais-Cardinal l’ordre à la main ; je me trouvais là, il m’a choisi ; seulement, comme je pouvais refuser, je l’aurais fait si je n’avais pas vu votre nom sur le papier. Je me suis souvenu alors des bontés que votre famille avait eues pour moi et pour mon frère, et profitant de l’occasion que m’offrait ma profession de recors, j’ai voulu vous rendre ce que m’ont fait les vôtres en essayant de vous sauver.

— Ceci ne me semble guère facile, mon pauvre ami.

— Plus que vous ne le croyez, monsieur le comte ; je vais laisser ici