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d’un cuistre de ta sorte, dit-il avec mépris ; et, dégainant son épée, il en brisa froidement la lame sur ses genoux, et jeta les morceaux à travers les vitres qui se brisèrent en éclats.

Puis il saisit les deux pistolets qu’il portait à sa ceinture et les arma.

— Monsieur ! monsieur ! s’écria le sbire en se reculant avec épouvante, c’est rébellion, songez-y, rébellion aux ordres exprès de Sa Majesté et de Son Éminence le cardinal ministre.

Le comte sourit avec mépris, et levant ses pistolets en l’air il les déchargea ; les balles allèrent se loger dans le plafond. Les saisissant ensuite par le canon, il les lança à la volée à travers la fenêtre, puis croisant ses bras sur la poitrine :

— Maintenant, dit-il froidement, faites de moi ce que vous voudrez.

— Vous êtes rendu, monsieur le comte ? demanda le sbire avec une terreur mal dissimulée.

— Oui, dès ce moment, je suis votre prisonnier.

L’homme noir respira ; bien que sans armes, le fier gentilhomme l’effrayait encore.

— Seulement, continua celui-ci, laissez-moi dire deux mots à cette dame, et il désigna du geste doña Clara qui, soignée par dame Tiphaine accourue au bruit malgré les prières et les ordres de son mari, commençait à reprendre connaissance.

— Non, non, pas un mot, pas une syllabe ! s’écria le duc en se jetant entre sa fille et le comte ; emmenez ce misérable, emmenez-le !

Mais le recors, heureux de la facilité avec laquelle le comte s’était rendu à lui, et ne voulant pas exciter sa colère, heureux surtout de faire preuve d’autorité sans courir de risques, s’interposa bravement.

— Permettez, permettez, monsieur, dit-il, ce gentilhomme a à parler à cette dame, laissez-le décharger son cœur.

— Mais cet homme est un assassin ! s’écria le duc avec violence, devant vous gît encore le cadavre de mon malheureux fils, tué par lui.

— Je vous plains, monsieur, répondit le sbire sans s’émouvoir ; à ceci je ne saurais porter remède : adressez-vous à qui de droit pour en avoir raison. Cependant, si cela peut vous être agréable, soyez convaincu que je prends bonne note de l’accusation que vous portez, et que je m’en souviendrai en temps et lieu ; mais vous devez être aussi pressé d’être débarrassé de nous, que nous avons, nous, hâte de partir ; laissez donc ce gentilhomme faire tranquillement ses adieux à la jeune dame, ce ne sera pas long, j’en suis convaincu.

Le duc lança un regard farouche au recors, mais ne voulant pas se compromettre avec un tel drôle, il ne répondit pas et se recula d’un air sombre.

Le comte avait assisté sans témoigner ni impatience ni humeur à cette altercation ; le front pâle, les sourcils froncés, il attendait, prêt à se porter sans doute à quelque extrémité terrible si sa demande ne lui était pas octroyée.

Le recors n’avait eu qu’un regard à jeter sur lui pour deviner ce qui se passait dans son cœur ; aussi, peu jaloux de voir s’élever un nouveau conflit, avait-il prudemment manœuvré pour l’éviter.