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— Tenez, continua le Poletais en désignant l’engagé, qui semblait courir, tant sa course était rapide, regardez-moi ce garçon-là : quel beau brin d’homme, hein ? et comme il se comporte ! Il n’a cependant que deux mois tout au plus d’Amérique dans le ventre ; dans trois ans d’ici, je vous prédis que ce sera un de nos plus célèbres aventuriers.

— Vous l’avez acheté ? demanda don Sancho, assez peu intéressé par ces détails sans importance pour lui.

— Malheureusement non, il m’a été prêté pour quelques jours seulement ; il est l’engagé de Montbars l’Exterminateur ; je lui en ai offert deux cents gourdes, il n’a pas voulu me le vendre.

— Comment ! s’écria le jeune homme, Montbars, le célèbre flibustier ?

— Lui-même, c’est mon ami.

— Il se trouve donc aux environs alors ?

— Ceci, señor, rentre dans la catégorie des choses que vous apprendrez bientôt.

Ainsi que le boucanier l’avait prévu, l’incendie s’était éteint presque aussi vite qu’il s’était allumé, faute d’aliments, dans cette savane où il ne poussait seulement que de l’herbe et quelques broussailles sans importance.

Les Espagnols s’étaient réfugiés sur les bords de la rivière, dont les rives sablonneuses les avaient préservés du contact du feu. Les forêts, trop éloignées du centre de l’incendie, n’avaient pas été atteintes, bien que quelques langues de flammes fussent allées en mourant lécher leurs premiers contreforts.

Du boucan il était facile d’apercevoir les officiers espagnols essayant de remettre un peu d’ordre parmi leurs troupes, afin sans doute de tenter une nouvelle attaque dont cependant le Poletais ne semblait aucunement s’inquiéter. Parmi les officiers, un surtout se faisait remarquer : il était à cheval et se donnait un mouvement extrême afin de reformer les rangs ; les autres officiers venaient à tour de rôle prendre ses ordres.

Cet officier, don Sancho le reconnut du premier coup d’œil.

— Voilà ce que je craignais, murmura-t-il, le comte s’est mis lui-même à la tête de cette expédition, nous sommes perdus !

En effet, c’était don Stenio de Béjar qui, arrivé au hatto au point du jour et apprenant la fuite de la comtesse, avait voulu commander l’expédition.

La position des aventuriers était critique, réduits à trois par le départ de l’Olonnais, campés au milieu d’une plaine nue, sans retranchements d’aucune sorte ; cependant la confiance du boucanier ne paraissait pas diminuer, et c’était d’un air ironique qu’il examinait les préparatifs que l’ennemi faisait contre lui.

Les Espagnols, reformés à grand’peine, grâce à l’active initiative de leurs officiers, se remirent enfin en marche et se dirigèrent de nouveau sur le boucan, en prenant les mêmes précautions que précédemment, c’est-à-dire en ayant soin d’étendre leur front de bataille de façon à former un cercle complet et à envelopper entièrement le campement.

Mais la marche des cinquantaines était lente, mesurée ; ce n’était qu’avec