Les Espagnols, surpris à l’improviste, poussèrent des cris d’effroi et se rejetèrent rapidement en arrière, poursuivis par la flamme qui s’étendait toujours et s’avançait continuellement de leur côté.
Cependant il était évident que les aventuriers n’avaient pas eu l’intention de brûler vifs les malheureux Espagnols ; l’incendie allumé par eux n’avait pas assez de consistance pour cela, l’herbe brûlait et s’éteignait avec une rapidité extrême. Le seul résultat sans doute que les boucaniers avaient voulu obtenir, était de causer une terreur panique à leurs ennemis, et de jeter le désordre parmi eux, ce à quoi ils avaient complètement réussi.
Les soldats, à demi roussis par la flamme, fuyaient en poussant des cris de terreur, devant cette mer de feu qui semblait incessamment les poursuivre, ne songeant pas à regarder en arrière, n’obéissant plus aux ordres de leurs chefs et n’ayant qu’une pensée : échapper au danger terrible qui les menaçait.
Pendant ce temps-là, le Poletais expliquait froidement à don Sancho les résultats probables de l’expédient dont il s’était servi.
— Voyez-vous, señor, disait-il, cet incendie n’est rien, c’est un feu de paille presque inoffensif ; dans quelques minutes, une demi-heure au plus, tout sera éteint. Si ces hommes sont lâches, nous en voilà débarrassés, sinon ils reviendront et alors l’affaire sera sérieuse.
— Mais puisque vous reconnaissez l’inefficacité de ce moyen, pourquoi l’avoir employé ? Il est à mon avis plus nuisible qu’utile à notre défense.
Le boucanier hocha la tête à plusieurs reprises.
— Vous n’y êtes pas, dit-il, j’ai eu plusieurs motifs pour agir ainsi. D’abord, quelque braves que vous supposiez ces hommes qui sont vos compatriotes, ils sont maintenant démoralisés et il sera très difficile de leur redonner ce courage qu’ils n’ont plus ; d’un autre côté, je n’étais pas fâché de voir clair autour de moi et de nettoyer un peu la savane ; ensuite, ajouta-t-il d’un air narquois, qui vous dit que ce feu que j’ai allumé n’est pas un signal ?
— Un signal ! s’écria don Sancho, vous avez donc des amis près d’ici ?
— Qui sait ? señor, mes compagnons sont fort remuants de leur nature et souvent on les rencontre là où on les attend le moins.
— Je vous avoue que je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites.
— Patience, señor, patience ! vous comprendrez bientôt, je vous l’affirme, et vous n’aurez pas grand effort d’intelligence à faire pour cela. L’Olonnais, ajouta-t-il en se tournant vers son compagnon, je crois que tu ferais bien de te rendre là-bas, maintenant.
— C’est juste, répondit l’Olonnais en jetant nonchalamment son fusil sur l’épaule, il doit m’attendre.
— Prends avec toi quelques venteurs.
— Pouquoi faire ?
— Pour te guider, mon gars ; il n’est pas facile maintenant de se reconnaître au milieu de cette cendre, toutes les pistes sont brouillées.
L’engagé appela plusieurs chiens par leurs noms et s’éloigna sans répondre, suivi par une partie de la meute.