inspirerait peut-être à don Stenio, le jeune homme alluma une cigarette et attendit patiemment le retour des boucaniers, tranquille désormais et parfaitement rassuré sur l’avenir.
Le mayordomo, à peu près indifférent à ce qui se passait autour de lui, et rendu joyeux par l’espoir des mille piastres promises, avait mis le temps à profit ; réfléchissant qu’à leur retour les boucaniers ne seraient sans doute pas fâchés de trouver leur déjeuner prêt, il avait placé devant le feu une marmite de fer dans laquelle il avait mis bouillir un énorme morceau de viande avec une quantité raisonnable d’eau ; en guise de pain il avait glissé quelques ignames sous la cendre, puis il s’était occupé à préparer la pimentade, cette sauce obligée de tout repas boucanier.
Les fugitifs se trouvaient depuis plus d’une heure et demie à peu près en possession du boucan, lorsqu’ils entendirent des aboiements furieux et une vingtaine de chiens se précipitèrent en hurlant de leur côté ; mais un coup de sifflet strident, bien qu’assez éloigné, les rappela, et ils repartirent aussi vite qu’ils étaient venus.
Quelques minutes plus tard, les Espagnols aperçurent les deux boucaniers ; ils accouraient de leur côté avec une rapidité surprenante, bien que tous deux portassent chacun une charge dépassant au moins cent livres sur leurs épaules, et fussent en outre embarrassés de leurs armes et de tout leur attirail de chasse.
Leur premier soin, en arrivant au boucan, fut de jeter à terre les huit ou dix peaux de taureaux fraîches et dégouttantes de sang et de graisse qu’ils apportaient, puis ils s’avancèrent vers les étrangers qui de leur côté s’étaient levés pour les recevoir.
Les chiens, comme s’ils eussent compris qu’ils devaient garder une stricte neutralité, s’étaient couchés dans l’herbe, fixant cependant leurs yeux ardents sur les Espagnols, prêts probablement à leur sauter à la gorge au premier signal.
— Soyez les bienvenus dans cet ajoupa, dit le Poletais en ôtant son chapeau avec une politesse qu’on aurait été loin de supposer en voyant sa rude apparence ; tant qu’il vous plaira de demeurer ici, vous serez considérés comme nos frères : ce que nous possédons est à vous, disposez-en à votre guise, ainsi que de nos bras si l’occasion se présentait pour vous de réclamer notre appui.
— Je vous remercie au nom de mes compagnons, caballero, j’accepte votre gracieuse proposition, répondit doña Clara.
— Une femme. ! s’écria le Poletais avec surprise, pardonnez-moi, madame, de ne pas vous avoir reconnue tout d’abord.
— Je suis, caballero, doña Clara de Béjar, la personne à laquelle, m’a-t-on dit, vous avez à remettre un billet.
— Soyez alors doublement la bienvenue, madame ; quant au billet en question, je n’en suis pas chargé, mais mon compagnon.
— Sacredieu ! s’écria l’Olonnais qui s’était approché du blessé, O-mo-poua nous avait bien dit que ce pauvre diable de moine avait été à peu près déralingué, mais je ne m’attendais pas à le trouver en si piteux état.