— Oui, ne t’ai-je pas dit que divers accidents me sont arrivés aujourd’hui pendant la chasse.
— En effet, mais quel rapport ?
— Un grand, interrompit-il : le mayordomo qui m’accompagnait et moi, nous sommes tombés à l’improviste dans un campement de boucaniers.
— Ah ! fit-elle, en devenant encore plus pâle qu’elle l’était déjà.
— Oui, et c’est à ce campement que je compte te conduire ; d’ailleurs, un de ces boucaniers m’avait chargé d’une commission pour toi.
— Que veux-tu dire ?
— Rien que ce que je dis, ma sœur.
Elle sembla réfléchir un instant, puis se tournant résolument vers le jeune homme :
— Eh bien ! soit, frère, allons trouver ces hommes ; si cruels qu’on les représente, peut-être tout sentiment humain n’est-il pas éteint dans leurs cœurs et auront-ils pitié de moi.
— Quand partons-nous ?
— Le plus tôt possible.
— C’est juste, mais le hatto doit être surveillé, les soldats ont sans doute des ordres secrets ; il est probable que, sans t’en douter, tu es prisonnière, pauvre sœur ; pour quelle autre raison ces deux cinquantaines seraient-elles ici ?
— Oh ! alors, je suis perdue.
— Peut-être existe-t-il un moyen. La consigne donnée pour toi te regarde seule, sans doute ; malheureusement la course qu’il te faut entreprendre sera longue, fatigante, semée de périls sans nombre.
— Qu’importe, frère, je suis forte, va ! ne t’inquiète pas de moi.
— Soit, nous essayerons ; d’ailleurs tu veux absolument fuir, n’est-ce pas ?
— Oui, quoi qu’il arrive.
— Alors, à la grâce de Dieu ! attends-moi un instant.
Le jeune homme sortit et rentra au bout de quelques minutes, portant un volumineux paquet sous son bras.
— Voici des habits à mon page, je ne sais comment ils se trouvent en ma possession ; mon domestique les aura sans doute mis par mégarde dans ma valise, car je me rappelle que le tailleur me les a apportés quelques minutes seulement avant mon départ de Santo-Domingo, mais je remercie le hasard qui me fait les avoir. Habille-toi, enveloppe-toi dans un manteau, mets ce chapeau sur ta tête, je réponds de tout ; d’ailleurs, ce costume est préférable à des habits de femme pour courir à travers la savane ; surtout n’oublie pas de placer ces pistolets et ce poignard à ta ceinture, on ne sait pas ce qui peut arriver.
— Merci, frère, dans un quart d’heure je serai prête.
— Bon, pendant ce temps-là, je vais, moi, reconnaître le terrain. Surtout n’ouvre qu’à moi.
— Sois tranquille.
Le jeune homme alluma une cigarette et quitta l’appartement de l’air le plus insouciant qu’il put feindre.