Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisissant par le bras et l’obligeant à se rasseoir, mon ami et moi nous plaisantons, voilà tout.

— Excusez-moi, nobles caballeros, balbutia le moine, je suis extraordinairement pressé, il me faut malgré moi vous quitter à l’instant.

— Bah ! où irez-vous seul à cette heure ? tomber dans quelque fondrière ?

Cette perspective peu agréable donna à réfléchir au moine, cependant la terreur qu’il éprouvait fut la plus forte.

— C’est égal, dit-il, il faut que je parte.

— Allons donc ! jamais dans ces ténèbres vous ne trouverez le chemin du hatto del Rincon.

Pour cette fois le moine fut vaincu, cette nouvelle révélation lui cassa littéralement bras et jambes, il se considéra comme en proie à un horrible cauchemar, et n’essaya pas de continuer une lutte impossible.

— Là, reprit l’engagé, vous voilà raisonnable maintenant ; reposez-vous, je ne vous tourmenterai pas davantage, et afin de vous prouver que je ne suis pas aussi méchant que vous le supposez, je me charge de vous trouver un guide.

— Un guide, balbutia fray Arsenio, Dieu me garde d’en recevoir un de votre main.

— Rassurez-vous, señor padre, ce ne sera pas un démon, bien qu’à la rigueur il se puisse faire qu’il ait quelque ressemblance morale et physique avec l’esprit malin ; le guide dont il s’agit est tout simplement un Caraïbe.

— Ah ! fit le moine en respirant avec force, comme si un grand poids lui était enlevé de dessus la poitrine, si c’est bien réellement un Caraïbe…

— Pardieu ! que diable voulez-vous que ce soit ?

Fray Arsenio se signa dévotement.

— Excusez-moi, dit-il, je ne voulais pas vous offenser.

— Allons, allons, ayez patience ; je vais moi-même chercher le guide promis, car je vois que vous êtes pressé réellement de nous fausser compagnie.

L’Olonnais se leva, prit son fusil, siffla un venteur et s’éloigna à grands pas.

— Plaignez-vous donc, dit le Poletais, vous allez pouvoir continuer votre route sans craindre de vous égarer cette fois.

— Ce digne caballero est-il donc réellement allé chercher un guide, ainsi qu’il me l’a promis ? demanda fray Arsenio, qui n’osait trop compter sur la promesse de l’engagé.

— Dame ! je ne vois pas trop où il serait allé sans cela, et pourquoi il aurait ainsi quitté le boucan.

— Vous êtes donc bien véritablement boucanier, señor ?

— À votre service, señor padre.

— Ah ! ah ! et venez-vous souvent de ce côté ?

— Je crois, le diable m’emporte, que vous me questionnez, señor padre ! dit le Poletais en fronçant le sourcil et en le regardant en face, qu’est-ce que cela vous fait que je vienne ici ou autre part ?