Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

don Antonio de la Ronda, qui n’avait eu garde de s’éloigner, et de quelques officiers de confiance, il quitta incognito son palais, traversa la ville sans être reconnu et gagna la campagne.

Se tournant alors vers les personnes qui l’accompagnaient :

— Maintenant, caballeros, dit-il d’une voix sourde, ventre à terre, et ne craignez pas de crever vos chevaux ; des relais sont préparés de distance en distance sur la route.

Il enfonça les éperons dans les flancs de son cheval, qui hennit de douleur, et toute la troupe partit avec la vertigineuse rapidité d’un tourbillon.

— Ah ! Santiago ! ah ! Santiago ! s’écriait parfois le comte en excitant son cheval dont les efforts étaient surhumains, arriverai-je à temps !


XXIV

LE PORT-MARGOT

Nous reviendrons maintenant à la flotte flibustière que nous avons laissée appareillant de Saint-Christophe, et faisant voile, avec liberté de manœuvre, vers la Grande Caye du Nord, rendez-vous parfaitement choisi à cause de sa proximité de Saint-Domingue, et situé en face de l’île de la Tortue.

Selon leur coutume, chaque fois qu’ils entreprenaient une expédition, les aventuriers ne s’étaient occupés que de se fournir des munitions de guerre, dédaignant de prendre pour plus de deux jours de vivres, résolus à faire des descentes sur les îles qu’ils savaient devoir rencontrer sur leur passage, et à piller les colons espagnols établis sur ces îles.

Ce fut, du reste, ce qui arriva : les flibustiers laissèrent derrière eux une longue traînée de feu et de sang, massacrant sans pitié les Espagnols sans défense et que leur vue terrifiait, s’emparant de leurs bestiaux et incendiant les habitations après les avoir pillées.

Le premier navire qui atteignit le mouillage de la Grande Caye du Nord, fut le lougre monté par Montbars et commandé par Michel le Basque ; le lendemain, à quelques heures de distance l’un de l’autre, arrivèrent les deux brigantins.

Ils prirent leur mouillage à droite et à gauche de l’amiral, à deux encablures du rivage à peu près.

À cette époque, la Grande Caye était habitée par des Caraïbes rouges, transfuges de Saint-Domingue, dont les cruautés des Espagnols les avaient chassés, et réfugiés sur cet îlot sur lequel ils vivaient assez bien, grâce à la fertilité du sol et à l’alliance qu’ils avaient contractée avec les flibustiers.

À peine les trois navires furent-ils mouillés qu’ils furent entourés par une multitude de pirogues, montées par des Caraïbes, qui leur apportaient des rafraîchissements de toutes sortes.

Le soir même, l’amiral descendit à terre avec la plus grande partie de son