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neur, insistait pour être introduit en sa présence, ayant, disait-il, à lui faire des communications de la plus haute importance.

Le moment était mal choisi pour demander une audience, le comte avait envie de dormir ; il répondit à l’huissier que, si sérieuses que fussent les communications de l’inconnu, il ne les croyait pas cependant assez importantes pour leur sacrifier sa siesta ; qu’en conséquence il le congédiât en lui annonçant que le gouverneur ne serait pas libre avant quatre heures du soir et que si l’inconnu voulait revenir, alors il serait reçu.

Le comte renvoya l’huissier sur ces paroles, et se leva en murmurant à part lui tout en se dirigeant vers son boudoir :

Dios me salve ! si on croyait tous ces bribones, on n’aurait pas un instant de repos.

Là-dessus, il s’étendit commodément sur un large hamac pendu au frais, d’un angle à l’autre du boudoir, ferma les yeux et s’endormit.

La siesta du comte dura trois heures. Ce retard de trois heures fut cause de graves complications.

En s’éveillant, don Stenio ne pensait plus à l’inconnu ; il lui arrivait ainsi d’être si souvent dérangé pour rien par des gens qui prétendaient avoir à traiter d’affaires urgentes, qu’il n’attachait plus la moindre importance à ces demandes d’audience et que les paroles de l’huissier s’étaient complètement effacées de sa mémoire.

Au moment où il entrait dans le salon où d’ordinaire il donnait ses audiences et qui en ce moment était complètement désert, l’huissier se présenta de nouveau.

— Que voulez-vous ? lui demanda-t-il.

— Excellence, répondit l’huissier en s’inclinant respectueusement, cet homme est venu.

— Quel homme ? fit le comte.

— Celui de ce matin.

— Ah ! ah ! eh bien, que veut-il ? reprit le comte, qui ne savait pas ce dont il s’agissait.

— Il désire, monseigneur, que vous lui fassiez l’honneur de le recevoir, ayant, dit-il, des choses de la plus haute gravité à vous annoncer.

— Ah ! fort bien, j’y suis maintenant ; c’est le même homme que vous m’avez annoncé ce matin ?

— Oui, Excellence, le même.

— Et quel est son nom ?

— Il désire ne le dire qu’à Votre Excellence.

— Hum ! je n’aime pas ces précautions, elles ne présagent jamais rien de bon : écoutez, José, lorsqu’il arrivera, vous lui direz que je ne reçois pas les gens qui s’obstinent à garder l’incognito.

— Mais il est là, monseigneur.

— Ah ! eh bien alors ce sera plus facile, dites-le lui tout de suite.

Et il lui tourna le dos ; l’huissier salua et sortit, mais au bout de cinq minutes à peine il rentra.

— Eh bien ! vous l’avez congédié ? demanda le comte.