Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même en leur parlant, lorsque parfois il lui arrivait de leur adresser la parole pour leur demander une indication d’un ton bref et méprisant.

Il tenait à la main un mouchoir brodé avec lequel, d’instant en instant, il essuyait la sueur qui inondait son front, et lançait des regards de colère autour de lui, en excitant son cheval de l’éperon, au grand désespoir des esclaves contraints de redoubler d’efforts pour le suivre.

— Ah çà ! dit-il enfin d’un ton de mauvaise humeur, nous n’arriverons donc jamais à ce hatto maudit ?

— Encore une demi-heure tout au plus, mi amo, répondit respectueusement un nègre, voyez là-bas le mirador.

— Quelle diable d’idée a eue ma sœur de venir s’enterrer dans cet effroyable trou au lieu de demeurer tranquille dans son palais de Santo-Domingo ? Les femmes sont folles, sur mon honneur ! grommela-t-il entre ses dents.

Et il assaisonna cette peu galante observation d’un furieux coup d’éperon à son cheval, qui partit au galop.

Cependant il approchait rapidement du hatto, dont il était facile de distinguer tous les détails.

C’était une charmante maison assez vaste, couverte enterrasse, surmontée d’un mirador, et précédée d’un péristyle formé par quatre colonnes soutenant une véranda.

Une haie épaisse entourait la maison, à laquelle on ne parvenait qu’après avoir traversé un jardin assez vaste ; derrière se trouvaient les corales pour enfermer les bestiaux et les cases des nègres, espèces de huttes misérables, basses, à demi ruinées, bâties avec des branches d’arbres entrelacées tant bien que mal les unes dans les autres, et recouvertes avec des feuilles de palmier.

Ce hatto, calme et solitaire, au milieu de cette plaine à la luxuriante végétation, à demi-caché au milieu des arbres qui lui formaient une ceinture de feuillage, avait un aspect réellement enchanteur, qui ne parut produire sur l’esprit du voyageur d’autre effet que celui d’un profond ennui et d’une vive contrariété.

Cependant l’arrivée de l’étranger avait sans doute été signalée par la sentinelle placée dans le mirador pour surveiller les environs, car un cavalier sortit au galop du hatto et se dirigea vers la petite troupe composée du gentilhomme que nous avons décrit et des quatre esclaves qui couraient toujours derrière lui, en montrant leurs dents blanches et aiguës et en soufflant comme des phoques.

Le nouveau venu était un homme de petite taille, mais dont les épaules larges et les membres bien attachés dénotaient une force musculaire peu commune ; il avait quarante ans, ses traits étaient durs et accentués et l’expression de sa physionomie sombre et sournoise ; un chapeau de paille à larges bords cachait presque son visage ; un manteau, nommé poncho, fait d’une seule pièce et percé au milieu d’un trou pour passer la tête, couvrait ses épaules ; le manche d’un long couteau sortait de sa botte droite, un sabre pendait à son côté gauche, et un long fusil était placé en travers sur le devant de la selle. Lorsqu’il fut arrivé à quelques pas du gentilhomme, il arrêta son