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convenu que nous nous rendrons chacun de notre côté au rendez-vous général ; la prudence nous oblige à ne pas laisser soupçonner nos forces à l’ennemi ; notre point de repère est l’île de la Grande-Caye du nord ; le premier arrivé attendra les deux autres ; là je vous donnerai mes dernières instructions sur le but de l’expédition dont vous connaissez déjà une partie.

— Ainsi, dit M. de Fontenay, vous vous obstinez à garder votre secret ?

— Si vous l’exigez absolument, monsieur le gouverneur, répondit Montbars, je vous…

— Non, non, interrompit-il en riant, gardez-le, je n’en ai que faire ; d’ailleurs, je l’ai déjà à peu près deviné.

— Ah ! fit Montbars d’un air incrédule.

— Pardieu ! je me trompe fort ou vous voulez tenter quelque chose sur Saint-Domingue.

L’aventurier ne répondit que par un fin sourire et prit congé du gouverneur qui se frottait joyeusement les mains, persuadé qu’il avait en effet deviné ce secret qu’on affectait de lui cacher.

Une heure plus tard les trois légers bâtiments levèrent leurs ancres, déployèrent leurs voiles et s’éloignèrent après avoir fait un salut d’adieu à la terre, salut qui leur fut immédiatement rendu coup pour coup par la batterie de la pointe.

Ils ne tardèrent pas à se confondre au loin dans les brumes blanchâtres de l’horizon et à disparaître tout à fait.

— Eh ! fit M. de Fontenay à ses officiers en reprenant le chemin de la maison du gouvernement, vous verrez que je ne me suis pas trompé et que c’est bien à Saint-Domingue qu’en veut ce démon de Montbars ! Hum ! je plains les Espagnols.


XX

LE HATTO

Nous laisserons la flotte flibustière, que nous retrouverons bientôt, naviguer péniblement à travers l’inextricable dédale de l’archipel des Antilles et nous nous transporterons à Saint-Domingue, ainsi que la nomment les Français, Hispaniola selon que la baptisa Colomb, ou Haïti, comme l’appelaient les Caraïbes, ses premiers et seuls véritables propriétaires.

Et lorsque nous parlons des Caraïbes, nous entendons les noirs comme les rouges ; car, particularité que beaucoup de personnes ignorent, certains Caraïbes étaient noirs et ressemblaient si bien à la race africaine que lorsque par exemple les planteurs français vinrent s’établir à l’île Saint-Vincent et amenèrent avec eux des esclaves nègres, les Caraïbes noirs, indignés de ressembler à des hommes dégradés par l’esclavage, et craignant en outre que plus tard leur couleur ne devînt un prétexte pour leur faire subir le même sort, s’enfuirent dans les retraites les plus inexplorées des bois, et, pour créer