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Au bout de dix minutes, elle s’engagea dans l’endroit même où Montbars s’en était emparé pour se rendre à Nièves. Les trois hommes descendirent sur le rivage, poussèrent la pirogue au plein et s’éloignèrent du côté du hatto.

Ils traversèrent la ville, ou plutôt le bourg, au milieu de la foule des flibustiers, qui fêtaient par des chants, des cris et des libations leurs dernières heures de liberté.

La route se fit silencieusement. Lorsque les trois hommes atteignirent le hatto, Montbars alluma une chandelle de résine et visita la maison avec le plus grand soin, afin de s’assurer que nul étranger ne s’y trouvait ; puis il vint retrouver ses deux compagnons qui l’attendaient sur l’esplanade.

— Entrez, leur dit-il simplement.

Ils le suivirent.

Montbars s’assit alors sur une chaise, et se tournant vers le Caraïbe :

— J’ai à causer avec toi, O-mo-poua, lui dit-il.

— Bon ! fit joyeusement l’Indien ; c’est que vous avez besoin de moi alors.

— Au cas où cela serait vrai, tu en serais donc content ?

— Oui, j’en serais content.

— Pour quelle raison ?

— Parce que, de même que j’ai trouvé un blanc qui est bon et généreux, je tiens à vous prouver que tous les Caraïbes ne sont pas farouches et indomptables, et qu’ils savent être reconnaissants.

— Je t’avais promis, n’est-ce pas, de te faire retourner dans ton pays ?

— Oui, vous m’aviez fait cette promesse.

— Malheureusement, nommé chef d’une importante expédition, qui probablement sera longue, il m’est impossible, en ce moment, de te conduire à Haïti.

Le front de l’Indien se rembrunit à ces paroles.

— Ne te chagrine pas encore et écoute-moi avec attention, continua le flibustier, qui s’était aperçu du changement survenu dans la physionomie de l’Indien.

— Je vous écoute.

— Ce que moi je ne puis faire, tu peux l’accomplir, toi, si je t’en fournis les moyens.

— Je ne comprends pas bien ce que veut dire le chef pâle ; je ne suis qu’un pauvre Indien aux idées étroites. J’ai besoin qu’on m’explique bien clairement les choses pour les comprendre ; il est vrai que, lorsque j’ai compris, je n’oublie plus.

— Tu es Caraïbe, donc tu sais gouverner une pirogue ?

— Oui, répondit l’Indien avec un sourire d’orgueil.

— Si je te donnais une pirogue, crois-tu que tu atteindrais Haïti ?

— La grande terre est bien loin, dit-il d’une voix triste, le voyage bien long pour un homme seul, si brave qu’il soit !

— D’accord, mais si dans la pirogue je mettais, non seulement des vivres,