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peu près par un cratère contenant une source d’eau chaude fortement imprégnée de soufre.

Vue de loin, elle offre l’aspect d’un vaste cône ; elle n’est en effet qu’une montagne fort élevée dont la base est arrosée par les flots ; ses flancs, d’abord d’une montée facile, deviennent, à une certaine hauteur, excessivement abrupts, toute végétation cesse et son sommet couvert de neige va se perdre dans les nuages.

Lors de la descente des Espagnols à Saint-Christophe, plusieurs aventuriers avaient cherché un refuge dans cette île ; quelques-uns, séduits par ses sites romantiques, s’y étaient définitivement fixés et y avaient commencé certaines plantations, en petit nombre, il est vrai, et trop éloignées les unes des autres pour que leurs habitants pussent s’aider entre eux en cas d’attaque d’un ennemi du dehors, mais qui cependant prospéraient et promettaient de prendre promptement une certaine importance.

Le flibustier, bien que sa légère embarcation fût poussée par une bonne brise, mit cependant assez de temps pour atteindre l’île, parce qu’il lui fallut embouquer dans le détroit et le traverser dans toute sa longueur avant que d’arriver à l’endroit où il voulait se rendre.

Le soleil commençait déjà à baisser, lorsque enfin la pirogue donna dans une petite anse de sable au fond de laquelle elle ne tarda pas à atterrir.

— Hale le canot au plein, cache les avirons dans les mangles, dit Montbars, et suis-moi.

L’Olonnais obéit avec cette ponctualité et cette intelligente vivacité qu’il mettait en toute chose, et se tournant vers son maître :

— Prendrai-je mon fusil ? dit-il.

— Prends, cela ne peut pas nuire, dit celui-ci ; un aventurier ne doit jamais marcher désarmé.

— C’est bon, je m’en souviendrai.

Ils s’enfoncèrent dans l’intérieur des terres en suivant un sentier à peine tracé, qui de la plage s’élevait en pente douce, tournait autour d’un morne assez élevé et venait aboutir, après avoir traversé un bois d’acajous assez touffu, à une étroite esplanade, au centre de laquelle une tente de coutil avait été tendue non loin d’un rocher.

Un homme, assis devant l’entrée de cette tente, lisait dans un bréviaire. Cet homme portait le costume rigide des franciscains. Il paraissait avoir passé le milieu de la vie. Il était pâle, maigre, avec des traits ascétiques et sévères, la physionomie intelligente, et une grande expression de douceur était répandue sur son visage ; au bruit du pas pesant des aventuriers, il releva vivement la tête, la tourna vers eux et un sourire triste se dessina sur ses lèvres.

Fermant brusquement son livre, il se leva et fit quelques pas au-devant des nouveaux venus.

— Dieu soit avec vous, mes frères, dit-il en espagnol, si vous venez avec des intentions pures, sinon qu’il vous inspire de meilleures pensées.

— Mon père, répondit le flibustier en lui rendant son salut, je suis celui que les aventuriers de Saint-Christophe nomment Montbars, mes intentions sont pures : car en venant ici je ne fais que me rendre au désir que vous avez