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riers les plus renommés, au nombre desquels se trouvait Michel le Basque.

M. de Fontenay reçut Montbars avec distinction, il se leva même de son fauteuil et fit un pas ou deux au-devant de lui, ce que les flibustiers trouvèrent de fort bon goût et dont ils lui furent reconnaissants : cet honneur rendu au plus célèbre d’entre eux rejaillissait sur eux tous.

Après avoir échangé quelques mots de politesse avec le gouverneur, Montbars se pencha à l’oreille de Michel :

— Eh bien ! matelot ? lui dit-il.

— L’Espagnol est à bord, répondit Michel, surveillé avec soin par Vent-en-Panne.

— Alors je puis être tranquille ?

— Parfaitement.

Pendant cet aparté, la vente avait continué.

Tous les engagés hommes avaient été vendus, un excepté, qui se tenait en ce moment sur l’estrade auprès de l’agent de la Société, faisant fonction de ce que nous nommons aujourd’hui commissaire-priseur, et chargé de faire valoir les qualités de la marchandise humaine qu’il proposait aux assistants.

Cet engagé était un homme de petite taille, trapu, fortement charpenté, âgé de vingt-cinq à vingt-six ans, aux traits durs, énergiques, mais intelligents, dont les yeux gris respiraient l’audace et la bonne humeur.

— Pierre Nau, né aux Sables-d’Olonne, dit l’agent de la Compagnie, âgé de vingt-cinq ans, vigoureux et bien portant, matelot. À quarante écus l’Olonnais, à quarante écus pour trois ans, messieurs.

— Allez, allez, dit l’engagé, si celui qui m’achètera est un homme, il fera une bonne affaire.

— À quarante écus, reprit l’agent de la Compagnie, à quarante écus, messieurs.

Montbars se tourna vers l’engagé.

— Comment, drôle, lui dit-il, tu es matelot, et au lieu de venir te joindre à nous, tu t’es vendu ? tu n’as pas de cœur !

L’Olonnais se mit à rire.

— Vous n’y entendez rien, je me suis vendu parce qu’il le fallait, répondit-il, pour que ma mère puisse vivre pendant mon absence.

— Comment cela ?

— Que vous importe ? vous n’êtes pas mon maître encore, et quand même vous le seriez, vous n’auriez pas le droit de m’interroger sur mes affaires privées.

— Tu me parais un hardi compagnon, reprit Montbars.

— Je crois l’être, en effet ; d’ailleurs, je veux devenir un aventurier comme vous autres, et pour cela il est nécessaire que je fasse l’apprentissage du métier.

— À quarante écus, cria l’agent.

Montbars examina un instant avec la plus sérieuse attention l’engagé, dont le regard ferme ne se baissa que difficilement devant le sien ; puis, satisfait sans doute de ce triomphe, il se tourna vers l’agent :

— C’est bon, dit-il, taisez-vous ; j’achète cet homme.