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— Elles signifient, dit brutalement Montbars, que vous êtes un espion et un traître, et que dans dix minutes vous serez pendu !

— Moi ! s’écria l’inconnu avec une surprise fort bien jouée. Allons, vous vous méprenez étrangement, monsieur. Laissez-moi passer, je vous prie.

— Je ne suis pas fou et je ne me méprends pas, señor don Antonio de la Ronda.

L’inconnu tressaillit : une pâleur livide couvrit son visage ; mais se remettant aussitôt :

— Oh ! mais c’est de la démence ! fit-il.

— Monsieur, reprit Montbars toujours calme, mais demeurant comme scellé devant la porte, lorsque j’affirme vous niez. Il est évident qu’un de nous deux ment ou se trompe. Or, je certifie que ce n’est pas moi. Il faut donc que ce soit vous ; et pour vous enlever vos derniers doutes à cet égard, écoutez ceci. Mais d’abord, veuillez, je vous prie, vous rasseoir. Nous avons, bien que cela vous contrarie, à causer pendant quelque temps, et je vous ferai observer qu’il est de très mauvais goût de parler debout en face l’un de l’autre comme deux coqs de combat prêts à se sauter à la crête, lorsqu’il est possible de faire autrement.

Dominé malgré lui par le regard fulgurant de l’aventurier opiniâtrement fixé sur lui et par son accent bref et impératif, l’inconnu fut reprendre sa place et se laissa tomber plutôt qu’il ne s’assit sur son siège.

— Maintenant, monsieur, reprit le flibustier du même ton calme, en se rasseyant et en appuyant les coudes sur la table, en même temps qu’il se penchait en avant, afin de dissiper d’un coup tous les doutes que vous pourriez conserver et vous prouver que je sais beaucoup plus de choses que vous ne le désireriez sans doute sur ce qui vous concerne, laissez-moi en deux mots vous raconter votre histoire.

— Monsieur ! interrompit l’étranger.

— Oh ! ne craignez rien, ajouta-t-il d’un ton de sarcasme froid et sec ; je serai bref : pas plus que vous je n’aime à perdre mon temps en vains discours ; mais, remarquez en passant, je vous prie, comment, ainsi que je l’avais prévu, notre conversation, d’abord frivole, est devenue promptement intéressante. N’est-ce pas, en effet, singulier, je vous le demande ?

— J’attends, monsieur, qu’il vous plaise de vous expliquer, répondit froidement l’inconnu ; car, jusqu’à présent, quoi que vous en disiez, je ne comprends pas un seul mot de tout ce qu’il vous plaît de me débiter.

— Allons, vive Dieu ! vous êtes un homme selon mon cœur. Je ne m’étais pas trompé sur votre compte. Brave, froid, dissimulé, vous seriez digne d’être flibustier et de mener avec nous la vie d’aventures.

— Vous me faites beaucoup d’honneur, monsieur, mais tout cela ne me dit pas…

— M’y voici, monsieur, un peu de patience. Comme vous êtes vif ! Prenez garde : dans le métier que vous faites, il faut surtout du sang-froid, et vous en manquez en ce moment.

— Vous êtes très spirituel, monsieur, dit l’inconnu en saluant ironiquement son interlocuteur.