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projet en m’emparant de l’île ; si vous refusez, il n’en sera plus question.

Et pour laisser par son absence plus de liberté à la discussion, l’aventurier quitta la chambre et se rendit sur la terrasse qui précédait le hatto, où il commença à se promener de long en large, indifférent en apparence à ce qui se passait, mais intérieurement fort inquiet du résultat de la délibération.

À peine se promenait-il ainsi depuis quelques minutes, lorsqu’un léger sifflement se fit entendre à peu de distance, si doucement modulé qu’il fallut toute l’acuité d’ouïe dont le flibustier était doué pour le percevoir.

Il fit vivement quelques pas dans la direction où cette espèce de signal s’était fait entendre ; au même instant un homme étendu sur le sol et si bien confondu avec l’ombre que, à moins de le savoir là, il était impossible de l’apercevoir, leva vers lui sa tête et montra, aux reflets blanchâtres des rayons de la lune, le visage cuivré et les traits fins et intelligents d’un Caraïbe.

— O-mo-poua ? dit le flibustier.

— J’attends, répondit laconiquement l’Indien en se redressant d’un bond et se tenant droit devant lui.

O-mo-poua, c’est-à-dire le sauteur, était un jeune homme de vingt-cinq ans au plus, à la taille haute et admirablement proportionnée, dont la peau avait la nuance dorée du bronze florentin ; il était nu à l’exception d’un léger caleçon de toile bise nommé pagne, qui lui serrait les hanches et lui tombait un peu au-dessus des genoux ; ses longs cheveux noirs, partagés également sur le sommet de la tête, lui retombaient de chaque côté sur les épaules ; il ne portait d’autre arme qu’un long couteau et une baïonnette passée dans une ceinture de cuir de vache.

— L’homme est-il venu ? demanda Montbars.

— Il est venu.

— O-mo-poua l’a vu ?

— Oui.

— Se croit-il reconnu ?

— L’œil seul d’un ennemi acharné le pouvait deviner sous son déguisement.

— Bon ! cela ; mon frère me conduira vers lui.

— Je conduirai le chef pâle.

— Bien ! où trouverai-je O-mo-poua une heure après le lever du soleil ?

— O-mo-poua sera dans sa case.

— J’irai. Et entendant plusieurs voix qui l’appelaient de l’intérieur du hatto : Je compte sur la promesse de l’Indien, dit-il.

— Oui, si le chef tient la sienne.

— Je la tiendrai.

Après avoir échangé un dernier geste d’intelligence avec le flibustier, le Caraïbe se glissa sur les flancs de la falaise et disparut presque instantanément.

Montbars demeura un moment immobile, plongé dans de profondes réflexions, puis faisant un mouvement brusque et passant la main sur