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Le Forestier

— Il est vrai, mais permettez-moi d’insister pour que nous restions ici, cela vaudra mieux pour nous sous tous les rapports.

— Bah ! serons-nous donc mal reçus ?

— Quant à cela, n’ayez crainte, vous serez bien reçus. Seulement…

— Seulement ?

— On raconte des choses étranges sur don Jesus et la maison qu’il habite.

— Voyons, parlez franchement, comme un homme ! dit Fernan avec impatience.

— Eh bien, cette hacienda n’est pas en bonne réputation dans le pays ; les gens prudents s’en écartent ; on raconte des histoires effrayantes sur ces vieux murs ; bref, l’hacienda est hantée.

— Bon ! ce n’est que cela ! s’écria gaiement Miguel ; pardieu ! voilà une occasion de voir des revenants que je ne laisserai pas échapper, moi qui brûle d’en voir et qui n’ai jamais eu ce bonheur.

— Conduisez-nous, José, ne demeurons pas davantage ici.

— Mais.

— Trêve à vos rêveries, nous ne sommes pas des enfants qu’on effraie avec des contes de nourrices partons.

— Réfléchissez.

— Il n’est besoin de réfléchir, en route

— Vous le voulez ?

— Je l’exige.

— Soit, que votre volonté soit faite, mais souvenez-vous que je n’ai fait que céder à votre exigence.

— C’est convenu, José, j’assume toute responsabilité sur moi.

— Allons donc, puisque vous le voulez, mais, croyez-moi, prenez garde !

— Pardieu ! qu’avons-nous à craindre ? dit Michel en riant ; ne serons-nous pas diables contre diables ! Satan sera, je n’en doute pas, de bonne composition avec des confrères.

— Le guide haussa les épaules, sourit tristement et reprit sa marche.

Au bout de dix minutes à peine, tes voyageurs atteignirent l’hacienda.

Au moment où ils en franchissaient la porte, José aperçut, pérorant au milieu d’une foule de personnes rassemblées autour de lui, un Indien hideux, moucheté comme une panthère de taches verdâtres sur tout le corps, à la physionomie basse, rusée, cruelle et repoussante, borgne et manchot.

Cet Indien avait près de lui une mule grisâtre, maigre, efflanquée, saignante, qui portait la tête basse, avec cette résignation désespérée de l’animal non pas dompté mais martyrisé par l’homme ; un énorme chien au