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Le Forestier

rire nerveux ; oh ! ma vengeance a été belle, allez ! plus belle même que je ne l’espérais.

— Continuez, mon fils, je vous écoute.

— Sur ces entrefaites, le bruit courut la cour, et prit bientôt une certaine consistance, du mariage du roi.

— Du mariage du roi ! s’écria le duc avec une douloureuse surprise ; le roi va donc se marier ?

— Oui, mon père, le fait est aujourd’hui officiel : Sa Majesté épouse une princesse accomplie, dit-on. Mais que vous importe ?

— C’est juste, murmura le duc, les dents serrées, tandis qu’un sourire de dédain se jouait vaguement sur ses lèvres blémies ; continuez, mon fils.

— Un matin, reprit Gaston, le valet de chambre du roi se présenta au palais de Tormenar, il m’annonça que le roi me demandait. Je montai à cheval et je me rendis à l’Escurial. Sa Majesté m’attendait dans son oratoire ; son visage était pâle, ses yeux rougis par la veille ou par la douleur ; le roi congédia son valet de chambre d’un geste et me fit signe de m’approcher. J’obéis ; le roi, remarquant que je tenais mon chapeau à la main, me dit sèchement « Couvrez-vous, vous êtes grand d’Espagne. — C’est vrai, répondis-je, mais si j’ai le droit de parler au roi le chapeau sur la tête, il est de mon devoir d’écouter mon père le front nu et incliné. »

— Bien, mon fils.

— Le roi détourna la tête, reprit Gaston, puis au bout d’un instant, il reprit « Monsieur, je vous ai fait venir en ma présence, parce que j’ai à vous entretenir de choses d’importance et qui n’admettent pas de délai. » Jamais le roi ne m’avait parlé avec cette sécheresse : je tressaillis, mais je ne répondis pas ; le roi, voyant que je gardais le silence, reprit du ton d’un homme pressé d’en finir, parce qu’il reconnaît intérieurement qu’il fait mal « Monsieur, le bien de l’État exige que je me marie, vous avez sans doute appris cette nouvelle ? » Je m’inclinai. « Ce mariage aura lieu prochainement ; je suis contraint de vous éloigner temporairement de la cour. — Est-ce un exil, sire ? demandai-je. — Non, se hâta-t-il de répondre ; c’est une mesure de prudence exigée par la politique. Je vous laisse libre du choix de votre résidence, pourvu que vous n’alliez pas en Biscaye auprès de votre aïeul… »

— Le roi a dit cela ? s’écria le duc.

— Il l’a dit, mon père, puisque je vous le répète.

— C’est vrai ; pardonnez-moi, mon fils.

— « Et, reprit le jeune homme, que vous n’approchiez pas à plus de vingt-cinq lieues de la cour ; du reste, cette absence durera peu, je l’espère ; voilà