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Le Forestier


— Alors, sire, vous l’ami de son père, dit-il avec amertume, de son père qui vous a sauvé la vie, vous avez voulu reconnaître ce bienfait en…

— En demandant au duc de Biscaye, mon ami, moi, le roi, la main de sa fille, répondit noblement don Felipe ; me refusera-t-il, et ne m’aura-t-il sauvé la vie que pour me condamner à être éternellement malheureux ? Maintenant réponds-moi, duc, ou plutôt réponds-moi, mon ami, je n’ai plus rien à t’apprendre.

— Mais, moi, sire, j’ai à vous apprendre que je suis indigne de vos bontés ; que j’ai douté de vous, de votre cœur, de votre grandeur d’âme enfin ; qu’hier, lorsqu’on m’a révélé qui vous êtes, j’ai cru que vous vouliez porter le déshonneur dans ma maison.

— Don Luis, tais-toi !

— Non, sire, je ne me tairai pas, il faut que vous sachiez tout : la haine que je portais dans mon cœur contre le roi votre père s’est aussitôt réveillée en moi plus vive et plus terrible, et, Dieu me pardonne ! un instant la pensée m’est venue de laver dans votre sang cette injure irréparable que vous me vouliez faire !

— Tu en aurais eu le droit, don Luis, car si j’avais eu réellement les intentions que tu me supposais, j’aurais été un lâche et un traître. Duc de Biscaye, tu n’as pas répondu à la demande que je t’ai adressée.

— Oh ! sire, tant d’honneur murmura-t-il, accablé par le conflit d’émotions qui gonflait sa poitrine.

— Allons donc, mon cousin, reprit le roi avec bonté ; est-ce donc la première fois que ta maison s’allie à celle d’Espagne ? Crois-moi, duc, ton bonheur fera des jaloux, mais non des envieux ; car cette alliance rendra aux yeux de tous ta réhabilitation complète et montrera la grande estime dans laquelle te tient ton roi et ton ami.

— Merci, sire, vous êtes grand et généreux.

— Non, répondit-il en souriant, je suis reconnaissant, juste et surtout amoureux et maintenant que nous nous entendons, causons de nos affaires, afin qu’il ne puisse plus exister à l’avenir de malentendus entre nous.

— J’écoute respectueusement Votre Majesté, sire.

— Assieds-toi là, prés de moi.

— Sire !

— Je le veux.

Le comte s’inclina et prit un siège.

Le roi posa le portefeuile sur une table, l’ouvrit avec une petite clef