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Le Forestier

— Allons, à table, à table, mon hôte, dit gaiement le forestier en entrant, nous avons bien gagné un bon souper, qu’en pensez-vous ?

— Je pense, répondit l’étranger en souriant, que vous êtes le plus charmant égoïste que j’aie jamais vu, et que vous avez une charmante famille.

— Eh bien ! vous avez peut-être raison, après tout ; mais ne laissons pas refroidir le souper.

Chacun prit place ; alors le forestier prononça le benedicite et le souper si longtemps attendu fut vigoureusement attaqué.

Il se trouva, par hasard, que l’étranger était placé directement en face de Cristiana ; il ne pouvait lever les yeux sans que ses regards croisassent ceux de la jeune fille.

L’inconnu semblait avoir repris toutes ses forces ; entraîné par l’exemple des autres convives, il chassa certaines pensées qui semblaient l’attrister, et se montra enfin tel qu’il était réellement, c’est-à-dire gai, spirituel, homme du meilleur monde et enfin excellent convive, car, avec les forces, l’appétit était revenu, lui aussi.

Le souper fut égayé par les joyeuses saillies du forestier, qui, bien qu’il ne voulût pas le laisser paraître, était, en somme, très satisfait intérieurement d’avoir sauvé la vie à un galant homme, tel que paraissait l’être son hôte.

L’inconnu se leva de la table tout autre qu’il ne s’y était assis.

Il ne savait à quoi attribuer cet heureux changement qui l’étonnait lui-même.

Lorsqu’il eut pris congé des dames avec la plus exquise politesse, il se retira et suivit son hôte, qui le conduisit dans une chambre située au premier étage et qu’on avait préparée pour lui.

Un grand feu était allumé dans l’âtre ; les vêtements de l’étranger séchaient étendus sur des chaises.

Le forestier serra la main de l’étranger et se retira après lui avoir souhaité une bonne nuit.

Avec cet homme, le malheur était entré dans cette pauvre chaumière, si calme et si paisible pendant tant d’années.