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Le Forestier, par Gustave Aimard

— Il y a du vrai dans ce paradoxe, cependant il ne faudrait pas le pousser trop loin.

— On ignore le nombre de vos domestiques : quelques-uns de plus ou de moins, adroitement dissémines dans la maison, le jardin et tes écuries, ne seront pas remarqués ; vous verrez quelle belle collection de valets on vous confectionne, monsieur le comte ; vous en aurez de toutes sortes et de toutes nuances. Barthélémy, entre autres, votre maitre d’hôtel, il en a fait le plus magnifique hidalgo qui se puisse imaginer ; c’est à mourir de rire : sur ma parole, nous n’osons pas nous regarder en face.

— Vous êtes des fous, reprit Laurent, mais je vous le répète, soyez prudents.

— Puisque José répond de tout !

— Ah çà ! tu n’as que ton José a la bouche depuis quelque temps ; d’où te vient cet engouement extraordinaire pour cet homme ?

— José n’est pas ce qu’il paraît.

— Alors il est déguisé aussi.

— Pardieu ! nous le sommes tous, c’est charmant.

— Quelle singulière comédie nous jouons.

— Oui, et qui ne tardera pas à tourner à la tragédie ; je ne me cache pas, du reste, de ma prédilection pour José : vous savez, monsieur le comte, que je ne suis pas homme à m’infatuer d’un individu à la légère.

— C’est une justice que je me plais à te rendre.

— Eh bien j’éprouve pour cet homme quel qu’il soit une affection réelle : il est brave, loyal et dévoué, j’en suis convaincu.

— Montbarts, qui s’y connait, m’en a fait un grand éloge, et me l’a fort recommandé.

— Alors, nous pouvons être tranquilles.

Tout en causant ainsi, Laurent s’était habillé avec l’aide de Michel et avait revêtu un magnifique costume ; la Toison d’Or, ordre réservé aux princes et qui a cette époque ne s’obtenait que très difficilement, brillait sur poitrine.

Michel sourit en voyant Laurent s’en parer avec nonchalance.

— De quoi ris-tu, démon ? lui dit-il ; n’ai-je pas le droit de porter cet ordre ?

— Dieu me garde d’élever le moindre doute a ce sujet, monsieur le comte ! répondit vivement le boucanier ; il est incontestable que plus que personne vous en avez le droit ; seulement, je ris parce que cela me semble singulier de voir briller l’ordre de la Toison d’Or sur la poitrine de l’un des principaux chefs des Frères de la Côte, les ennemis acharnés de l’Espagne.