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Le Forestier

entré qu’une seule fois, il y a bien longtemps de cela, lors de la mort malheureuse du premier propriétaire.

— Qui s’est noyé, je crois ? dit négligemment le comte.

— Hélas ! oui, monseigneur ; c’était un bien digne homme, que Dieu, sans doute, a reçu dans sa gloire.

— Amen ! dit le comte ; j’espère, señor corregidor, que vous voudrez bien m’honorer quelquefois de votre visite.

— Certainement, señor conde, tout l’honneur sera pour moi.

En ce moment José vint prévenir Son Excellence de l’arrivée de ses bagages, que le directeur de la douane s’était empressé de lui expédier et de celle de ses domestiques amenés par le capitaine de la corvette la Santissima Trinidad en personne.

— Vous m’excuserez de vous laisser, cher señor, dit le comte avec courtoisie vous le voyez, en ce moment, je ne m’appartiens pas.

— Faites, faites, Excellence, je serais désespéré de vous gêner en rien.

— D’ailleurs, ajouta le jeune homme, j’espère vous revoir bientôt.

— Comment cela, Excellence ?

— Je compte aujourd’hui même avoir l’honneur de me présenter à Son Excellence don Ramon de la Crux, votre gouverneur, auprès duquel, ajouta-t-il avec un sourire, je suis chaudement recommandé.

— Me permettez-vous d’annoncer votre prochaine visite à don Ramon de la Crux, monseigneur ?

— Mais comment donc avec le plus grand plaisir, señor.

Là-dessus ils se séparèrent et don Cristoval se retira la joie dans le cœur.

— Don Jesus avait raison, disait-il à part lui tout en regagnant sa demeure : ce jeune homme est réellement charmant ; je crois que nous réussirons.

Lorsque Fernan eut regagné la maison, il trouva tous les ballots déjà entrés et les peones congédiés par les soins de Michel le Basque.

Les domestiques, grands gaillards bien découplés, aux traits anguleux et a la physionomie expressive, au nombre d’une douzaine environ, tous revêtus d’une livrée magnifique, s’occupaient à éventrer les susdits ballots et à mettre part tout ce qu’ils renfermaient.

Ces ballots, timbrés au chiffre et aux armes du comte de Castel Moreno, n’avaient pas été ouverts à la douane, c’eût été faire une grave injure au noble comte, neveu du vice-roi de la Nouvelle-Espagne. Le directeur de la douane connaissait trop son devoir pour commettre un tel crime de lèse-courtoisie envers un aussi grand personnage.